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REVUE LITTÉRAIRE

L’AUTEUR DU « TABLEAU DE PARIS »

« Un Français, voyageant vers le sixième degré, rencontra un professeur qui, suant dans ses fourrures, s’évertuait à traduire un chef-d’œuvre de notre langue. L’habitant de Paris demanda le nom de l’écrivain pour lequel il voyait faire tant d’efforts. « Je ne les regrette point ; c’est pour le plus grand de vos écrivains ; vous devinez pour qui ? — Montesquieu, peut-être ? — Vous n’y êtes pas. — Voltaire ? — Oh ! non. — Racine ? — Ah ! fi ! Vous vous éloignez toujours davantage. Eh bien ! je vois qu’il faut vous le dire : c’est M. Mercier. » L’anecdote, rapportée par l’abbé de Vauxcelles, est-elle authentique ? Elle est du moins fort vraisemblable, les Allemands ayant toujours eu pour « le plus grand de nos écrivains » une admiration que les Français ont toujours refusé de partager. Sébastien Mercier n’a pas jusqu’ici récolté beaucoup de gloire dans son propre pays. Ses contemporains ne se sont guère occupés de lui, devant qu’il fût devenu un personnage politique, député de Seine-et-Oise, jacobin et conventionnel. La postérité ne lui a guère été plus clémente, et, si les anecdotiers pillent à outrance le Tableau de Paris, les historiens de la littérature s’obstinent à passer sous silence le nom de son auteur. L’heure de la réparation aurait-elle sonné pour cet oublié et ce dédaigné ? Après avoir attendu près de cent années un biographe, il vient d’en trouver un, que sans doute la destinée lui tenait en réserve, et qui, à lui tout seul, acquitte la dette de plusieurs autres. Le volume que M. Léon Béclard consacre à Sébastien Mercier, sa vie, son œuvre, son temps compte huit cents pages[1] et il s’arrête

  1. Léon Béclard, Sébastien Mercier, sa vie, son œuvre et son temps, 1 vol. in-8o) H. Champion).