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Mêlée au remuement obscur et doux des bêtes.
Mais déjà, nous pressant d’être au but, sur nos têtes,
L’azur éblouissant couronnait les hauteurs.

Ambitieux d’atteindre aux pics dominateurs,
Notre destin ressemble, ô ma chère compagne,
À cette ascension de nuit dans la montagne.
Nous avons, pèlerins solitaires, quitté
La ville qui dormait dans son iniquité.
Bientôt la plaine au bas de notre route ardue
S’est dans une vapeur de ténèbres perdue
Depuis lors nous marchons les yeux ouverts, sans voir.
Le chaos flotte autour de nous, informe et noir.
— Ah ! me dis-tu, docile à des terreurs soudaines,
Es-tu sûr qu’en ces lieux sombres, toi qui m’entraînes,
L’empreinte de nos pas regarde l’Orient ?

Mon bien-aimé, sors-moi de ce doute effrayant. —
Je réponds en levant la tête hors des ombres :
— Contemple ces milliers d’étoiles que les Nombres
Font graviter en chœur dans un ordre éternel.
Les voyageurs, la nuit, ont pour guide le ciel.
D’ailleurs, ne sens-tu pas toujours, ô mon amie,
Ma présence sourire à ton âme affermie ?
Tout près d’une poitrine où gronde un sang viril,
Pourrais-tu, faible enfant, croire encore au péril ?
Que l’orgueil de l’amour te soutienne. Sois fière.
Si l’on pied chancelant se blesse à quelque pierre
Etouffe entre mes bras le cri de ta douleur,
Et puisque enfin la douce et franche paix du cœur,
Incorruptible, au seuil d’un horizon immense,
Doit couronner là-haut notre longue espérance,
En hâte, ô bien-aimée, ou plus lents tour à tour,
Achevons de gravir le chemin vers le jour.


CHARLES GUERIN.