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Mais voici qu’à ta main, jardinier qui les cueilles,
Abandonnant ses beaux fruits mûrs chargés de miel,
La branche heureuse enfin de n’être plus que feuilles
D’un invincible essor remonte vers le ciel.


V


J’allais voir se lever le jour sur la montagne
Avec un braconnier pour guide, et pour compagne
Une nuit étoilée et notre de juillet.
La route, poudre sourde au bruit des pas, fuyait
Entre d’obscurs buissons au loin, vaguement blanche.
Je cheminais, buttant sans cesse et front qui penche,
Et mes yeux, des vapeurs du sommeil encor lourds,
D’étranges visions peuplaient les alentours.
Quelquefois, saisissant mon guide par l’épaule,
Je lui nommais, autour du point où luit le Pôle,
Les étoiles qui sont l’antique honneur des cieux.

Nous approchions du bas des monts silencieux.
Je vis alors, rougeur fidèle et solitaire,
Trembler tout près de nous dans l’ombre une lumière.
« C’est le moulin, me dit mon compagnon songeur ;
Sa lampe dans la nuit fait signe au voyageur
Allant là-haut qu’on doit ici quitter la route. »
Et l’homme, précédé par son bâton qui doute,
Commença de gravir la pente d’un pas lent.
Apre, étroit, entravé de racines, croulant,
Le sentier rampe au bord d’une gorge où l’eau gronde.
Nous marchions à travers l’obscurité profonde,
Guidés par la blancheur des pierres à nos pieds.
Souvent dans une halle au milieu des halliers
Où circule la brise, invisible passante,
Suspendu, j’écoutais la feuille frémissante
Se gonfler en formant un de ces longs soupirs
Tels qu’en élève un cœur chargé de souvenirs.

Le chemin se perdit plus haut dans des prairies
Où l’herbe étincelait de fraîches pierreries.