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Adieu, dirai-je, avec un long soupir, adieu,
Eclats candides, joie ingénue et sonore,
Saison vierge où le sang naïf et plein de feu
De l’ardeur qu’il nourrit ne souffre pas encore !

Du tournant de la vie où je touche de près,
Chers bonheurs de jadis, adieu, je vous salue !
Et vous, regrets, quittez, quittez, lâches regrets,
Une âme dès ce soir fervente et résolue,

Car elle veut porter sans gémir de leurs poids
Tes roses dont le joug la couronne et la blesse,
O désir de l’amour qui fais tout à la fois
Le tourment immortel de l’homme et sa noblesse.


II


L’amour le plus limpide a sa secrète boue.
Un rêveur altéré, devant ce cristal pur
Où son reflet mobile à fleur de ciel se joue,
S’agenouille, joyeux d’y boire en plein azur.

Il étanche sa soif sublime de mirage,
Puis, d’un cœur insensé suivant le prompt désir,
Dans l’infini trompeur où flotte son image,
Avide, il veut encor soi-même se saisir.

Mais, dès qu’il est entré dans la claire fontaine,
Il voit, jailli du sein de sa virginité,
L’épais tourbillon noir d’une vase soudaine
Se répandre à travers l’idéal convoité.

On trouve l’ombre au fond de toute foi qu’on creuse,
Aussi, jaloux du peu d’illusions qu’il a,
Le sage s’en tient-il à l’apparence heureuse,
Sois donc, si tu le peux, mon fils, ce sage-là.