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Mais au moment où nous allions nous mettre en route, on vient de la Légation, nous dire d’ajourner notre voyage. Des Allemands ont encore reçu des pierres ce matin sur le trajet de la gare et ont été forcés de rétrograder. Des soldats de l’armée régulière, sous prétexte de réquisitions, se sont jetés sur les voitures à bagages, qu’ils ont renversées sur la route. D’ailleurs, les voituriers que nous avons retenus refusent de marcher. Nous passerons donc encore cette nuit à Pékin.

2 juin. — Partis de bonne heure de l’hôtel, nous arrivons sans encombre à la gare. Beaucoup de monde dans le train : le consul de Tien-Tsin, le colonel attaché militaire russe, des officiers américains, etc. Les nouvelles du jour sont mauvaises. Une bande de trente-six Français, hommes, femmes et enfans, qui se trouvaient, au début des affaires, à Pao-Ting-Fou, sont partis depuis cinq jours pour regagner Tien-Tsin, en bateau, par la rivière. On n’avait pas de renseignemens sur leur voyage. Ceux qu’on apprend aujourd’hui sont affreux. Leurs jonques, attaquées par les Boxeurs, ont été coulées. Ils ont du se frayer un chemin à coups de fusil. Depuis lors, ils marchent jour et nuit, sans vivres, peut-être sans munitions, combattant sans cesse. Ils sont arrivés à trente kilomètres de Tien-Tsin, mais ils ne sont plus que dix ! Cent volontaires sont partis ce matin pour tâcher de les ramener.

Je voudrais m’arrêter à Tien-Tsin, voir comment tournent les événemens, repartir, s’il y a lieu, faire le coup de feu. Cela me tente comme un sport éminemment excitant. Malheureusement mes compagnons de voyage ne veulent ni me laisser ni m’attendre. Je finis par leur céder, ne croyant leur sacrifier qu’une fantaisie d’un moment. J’étais loin de prévoir, — et nul ne prévoyait alors, — ce qu’il allait advenir et qu’on tirerait, Un mois après, dans ces plaines, assez de coups de fusil et de coups de canon pour me laisser à jamais un inconsolable regret.


SHANGHAI

11 juin. — Shanghaï est la ville chinoise qui renferme les plus importantes concessions européennes. C’est, de toutes les cités de l’Extrême-Orient, la plus brillante au point de vue mondain, la plus gaie, celle où les « déracinés » des diverses nations peuvent mener la vie la plus agréable, la plus conforme à leurs goûts.