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un fond caché par un monticule. Quand nous paraissons, la débâcle est encore plus drôle. Ils étaient là deux ou trois mille en train de piller au milieu des flammes. Cette jolie troupe d’incendiaires et de voleurs se sauve dans toutes les directions avec une vitesse inouïe. Tout brûle, tout flambe ; des poutres tombent et des toits s’écroulent. Un coffre-fort éventré gît à terre au milieu de billets de chemin de fer et de vaisselle cassée. Seule une maison en construction a été respectée. Un écriteau chinois y est attaché : « Ne brûlez pas ceci qui appartient encore au charpentier. » Trois ou quatre mauvais gars sont montés sur les échafaudages et font semblant de travailler activement à bâtir, comme si les ruines qui les entourent ne les atteignaient pas.

Quelques Célestes qui ont la conscience plus tranquille, — ou sont simplement plus malins, — viennent à notre rencontre. Ils nous confirment le départ des assiégés, la veille au soir, avec une troupe venue de Pékin. C’est heureux pour eux, mais un peu ridicule pour nous. Comme les carabiniers d’Offenbach, nous sommes arrivés trop tard. Nous parcourons consciencieusement les ruines, examinons les incendies. Nous n’y pouvons rien, n’étant pas chargés de la répression. Nous repartons. Que messieurs les Boxeurs continuent leur œuvre. C’est la Chine qui paiera.

Le retour s’effectue sans encombre. A hauteur de Lou-Kou-Tchao, nous rencontrons l’armée impériale, qui s’est enfin mise en mouvement. Des troupes, encore des troupes ; un interminable défilé de cavaliers, de lanciers, de fantassins, marchant sans ordre dans la plaine ; des bannières, des drapeaux, des musiques bizarres, des tamtams ; un décor d’Opéra, une féerie du Châtelet ! Nous les contemplons quelque temps d’une petite pagode, aux abords de la voie. Mais nous ne tenons pas à faire avec eux plus ample connaissance, et nous battons en retraite sur Foun-Taï. Les gens de Tien-Tsin rentrent chez eux, tandis que G… et moi nous allons à Pékin en empruntant, — sans son autorisation, — le train spécial d’un haut mandarin venu pour examiner les dégâts.

Nous rendons compte au ministre de France de notre expédition, dont il était assez inquiet, et on nous présente tous ceux que nous n’avons pas sauvés. On nous fait fête ; on nous félicite ; on exagère un peu les dangers que nous avons courus. Nous serrons beaucoup de mains et embrassons beaucoup d’enfans. En échange, nous n’avons qu’une armoire pour nous coucher et