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ont de plus caractéristique, — à première vue, — c’est leur costume entièrement blanc qui leur donne l’aspect d’une nation de pierrots. Ils portent de grands pantalons bouffans rentrés dans des chaussettes de laine, une veste courte et, par-dessus, une longue chemise flottante en étoffe transparente et légère. Leur coiffure est très compliquée. Les cheveux, ramenés sur le haut de la tête, forment un petit nœud très serré, juste au sommet du crâne. Des bandelettes l’entourent et le fixent. Au-dessus se place une sorte de fez en crins noirs tissés comme une gaze. Enfin, pour couronner l’édifice, c’est un chapeau noir à bords plats, en crin également, que maintiennent deux brides nouées sous le menton. Cela constitue la seule coiffure que je connaisse qui dépasse en ridicule, en laideur et en incommodité, le « tuyau de poêle, » emblème de la civilisation moderne.

Le voyage de Chemulpo à Séoul se distingue par l’extrême variété des moyens de transport. C’est d’abord un trajet d’une heure et demie, en chemin de fer, dans une plaine riche et verdoyante que limitent de hautes montagnes boisées à la base. Puis on débarque, — la ligne n’allant pas actuellement plus loin, — et on s’installe tant bien que mal dans des chariots que des coolies poussent sur une petite voie Decauville. Cela va très lentement dans les montées, mais comme le diable dans les descentes. Alors, généralement, on déraille. Tout le monde descend et chacun se met au travail pour aider les coolies à replacer le wagon sur la voie. On repart pour dérailler bientôt de nouveau, et ainsi de suite. Au bout d’une petite heure, cette plaisanterie prend fin au bord d’une grande rivière qu’il faut traverser en barque car il n’y a point de pont. Puis, subitement, on trouve un tramway électrique du dernier modèle qui, en quelques minutes, vous amène au cœur même de la capitale.

Séoul est un immense village de cent cinquante mille habitans. Sauf les maisons des consuls, il n’y a guère que des huttes de paille. L’aspect est bien plus africain qu’asiatique. Beaucoup d’animation dans les rues, qui sont larges et bien alignées. Une foule de pierrots s’y promènent, donnant une illusion de mascarade et de mardi gras. Quelques-uns ont d’énormes chapeaux qui leur cachent complètement la figure. Ce sont des gens en deuil, Au temps des persécutions, les missionnaires usèrent souvent de ce stratagème pour passer inaperçus. Comme l’étiquette interdit d’adresser la parole au porteur d’un de ces couvre-chefs, cela