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lorsque sera ouverte la ligne de Mandchourie. Mais il ne faut pas oublier qu’un embranchement déjà presque terminé relie la ligne actuelle à celle du Sud et permet de mettre ainsi en communication constante les trois centres principaux de la Sibérie orientale : Kabarosk, Port-Arthur et Vladivostok. Quoi qu’il arrive, cette dernière ville restera toujours, malgré les glaces qui la gênent une partie de l’année, un des plus beaux ports du monde. D’ailleurs, les incalculables richesses minières des terrains qui l’entourent suffiraient y lui assurer le fécond avenir sur lequel elle semble compter.

Désireux d’avoir un aperçu de l’intérieur du pays, nous prenons un matin nos billets pour Kabarosk, chef-lieu de la Sibérie orientale, situé sur le fleuve Amour, à trente heures de chemin de fer de Vladivostok. Les compartimens sont spacieux et assez confortables. Les places se transforment en couchettes pour la nuit. On circule d’un bout à l’autre du convoi et on traîne avec soi un wagon-restaurant où l’on mange, à la russe, d’assez passables choses. Le paysage est monotone. Le train s’avance avec une sage lenteur parmi des plaines immenses où pousse une herbe rare ; parfois, des rivières, des étangs, des lacs ; presque partout le désert. Puis, tout à coup, on ne sait pourquoi, voici une ville avec des clochers, des magasins, des casernes. Toutes ces cités sont nées du chemin de fer, ont poussé comme des champignons depuis quelques années. Certaines, comme Nikolsk, sont considérables : cinquante mille hommes de troupe et dix mille habitans. Il y a dix ans, c’était le désert, la steppe immense et vide.

Peu à peu, le paysage change, s’améliore. Ce sont des bois maintenant, des bois rabougris de bouleaux et de pins. Et c’est triste, triste mortellement, cette forêt indéfinie et pauvre, ces herbes jaunes dans les jeunes taillis, ces troncs blancs des bouleaux qui tranchent comme de minces colonnes de neige sur le fond noir des sapins. A gauche, tout près, de l’autre côté d’une rivière qui longe la voie, on découvre quelques basses montagnes où des feux s’allument le soir, et qui sont la Chine, la frontière Nord de l’immense Empire dont, il y a deux mois, nous visitions le Sud.

Kabarosk est une ville importante, dont bien des gens en France ignorent sans doute le nom. Beaucoup de troupes toujours ; en tout cinquante mille habitans. C’est la résidence du