Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peinture, déesse d’hier, ou de la musique, déesse de demain ? Pendant toute la fin du XIVe siècle, en Italie, et au XVIIe siècle, les artistes « de sensation, » chercheurs d’effets, qui mèneront la sculpture au néant, et plus tard la peinture jusqu’à l’impression, — maximum des maladies nécessaires, — remplacent définitivement les artistes « de tradition. » L’École chante encore ; mais elle chante faux… à côté, — à côté du son délicieux des choses, à côté du sentiment vrai des hommes ; et si parfois, à Venise encore, un Sansovino, un Léopardi tournent avec quelque grâce le saint familier d’un bénitier, ou arrange, dans les niches des loggias, de jolies attitudes aux petites déesses ou aux aristocratiques madones, il faut vraiment attendre jusqu’au XVIIIe siècle français la venue charmante d’un Houdon pour nous consoler, comme par la grâce d’un doux geste féminin, des sarabandes pédantes ou folles que dansent sur toutes les églises de Rome, sur toutes les places d’Europe, les saints allègres et accommodans, si saintement gais et très pontificalement ivres, sortis, le poing sur la hanche, des ateliers de Bernin. La mesure du bon goût de France, et peut-être un peu la solennité de la perruque de Louis XIV, avaient épargné en quelque façon, au noble Versailles, la contagion de cette tarentelle sacrée. La belle unité d’art, qui groupa quelque temps autour du Roi peintres, architectes et sculpteurs, fut un temps d’arrêt dans la décadence de la sculpture. Encore les sculpteurs, comme les peintres, consentirent-ils à n’être alors que des « décorateurs » de l’ensemble, leur subordination même faisant leur grandeur certaine, et le charme qui demeure aux monumens complets. Bientôt, l’esprit des Clodion, des Pajou, des Falconet, en souriant, « de peur d’en pleurer » de ces grandes choses déformées ou mourantes, ramena le goût et la passion des délicates figurines. Cela fut, à vrai dire, du « bibelot » souvent, plutôt que de la statuaire, mais combien vivant, parce que semblable aux idées, aux demeures et aux êtres, pétri de tant d’esprit, et de grâce française ! Le meuble, parfois, en ces temps de boudoirs parfumés et d’âmes délicieusement corrompues, a gardé plus d’art enfermé que beaucoup de vaines statues. La secrète vertu des formes, le mystère de la divine sculpture, s’est gardé aux tiroirs de bois de rose des marquises. Sous l’émail précieux des vases et sous la blancheur mate des « biscuits, » on eût retrouvé, en grattant un peu, le sens des tendresses antiques, et comme le « toucher »