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de l’antique esprit, parfumé d’Orient, retombant sur ce sol toujours fécond, y a germé de nouveau, comme pour donner l’ancienne fleur d’art à des mains pures, vierges du vieux métier. Dans cet art naïf et brillant de la mosaïque, si délicieusement barbare, qui est la transition logique de la sculpture à la peinture, se peut voir sans doute le trait d’union de l’art antique à l’art moderne. C’est le premier manteau de beauté du christianisme triomphant. C’est par Ravenne, un jour[1], enclos en ces petits cubes d’or et d’azur qui tapissent comme d’impossibles plumes de paon l’oratoire bleu de Galla Placidia, que tout l’art, naguère chassé d’Italie, rentra au pays bien-aimé. Les sujets seuls sont changés ; mais, entre les fontaines bleues de Pompéi, œuvres d’art grec, et les absides d’or et de turquoise de Sainte-Apollinaire, imitées de Byzance, l’analogie d’harmonie est frappante ; c’est donc bien que la couleur apparaît déjà comme signification du nouvel art.

Pendant la longue enfance, secrète et persécutée, du christianisme, qui, à Rome jusqu’au Ve siècle, n’osait ni regarder ni détruire le peuple d’idoles inutiles et magnifiques restées debout par la ville énorme, les rares sculpteurs restés païens, par amour du marbre ou par regret des dieux, tentent vainement d’impossibles monumens. Le métier, qui n’exprime plus rien de nécessaire, n’étant plus traducteur de foi, se perd vite. L’extraordinaire décadence de la sculpture en ce pays encore peuplé de modèles, qui étaient souvent des chefs-d’œuvre, n’est explicable, en somme, que par un phénomène moral et historique. A la forme nouvelle de la croyance, de l’éternelle inquiétude humaine, il fallait le succès, le triomphe politique et social. Il n’y a que des idées victorieuses qui s’expriment définitivement en littérature et en art. Il fallait, encore un coup, le « consentement populaire » et la matière. Or, le peuple prit bien l’une, et avec quelle barbare violence ! pour servir l’autre ; les monumens sacrés, qu’avaient encore respectés les Barbares, devinrent d’immenses victimes, et comme l’inépuisable « carrière » où l’on puisait sans honte pour la hâtive reconstruction des choses et des idées. Vainement !… les pierres violées se refusèrent longtemps à signifier d’autres beautés. De fait, il n’y a pas de sculpture chrétienne avant la grande efflorescence gothique. L’art ogival,

  1. Vers 450.