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ce qu’il y a d’avenir et de splendeur morale en ces paroles s’opposera, chaque jour davantage, au grand rêve de la chair, qui est précisément l’art de la terre et du feu. Cette religion n’est pas sculpturale, non plus que toute idée abstraite. Encore bien moins le seront toute expression scientifique et toute conquête de l’esprit d’analyse. C’est par un reste d’indispensable paganisme que la religion nouvelle, aux premiers siècles de notre ère, pour reprendre les cœurs faibles par les yeux, se cherchera un art. Encore le christianisme se contentera-t-il pendant longtemps de prendre et de s’approprier des formes païennes, à peine démarquées pour son usage. L’idéal premier, — malheureusement pour le rêve du penseur, heureusement pour l’artiste futur, — se déformera bientôt sur la grand’route des siècles, et le temps laissera filtrer dans le temple triste et douloureux un rayon de l’antique soleil. Et, ne pouvant cesser tout à fait d’être humain par quelque côté, si divinisé que l’ait tenté le Fils de l’Homme, il acceptera de nouveau le manteau de beauté des choses. Mais la couleur seule alors paraîtra capable de voiler les défauts de la forme avec les ignorances de l’ouvrier nouveau. La peinture sera la forme chrétienne de l’art éternel.

Fugitive, ignorante et clandestine au fond des catacombes, — deux fois interdite, et par la loi et par l’idée, — que pouvait, en effet, produire et signifier la sculpture, en ces temps de misère ? Où il n’y a pas de lumière, il ne saurait y avoir d’art plastique ; la sculpture est fille du grand soleil. Les ombres violentes sur les bas-reliefs des frises, les larges taches sombres opposées franchement aux plans de lumière sur les formes des êtres, dans tous les pays antiques de grande clarté, c’est presque tout l’art du sculpteur, aux belles époques. On sait que l’éclairement d’une sculpture est toujours un délicat problème ; et les plus belles œuvres sont celles qui supportent le plus grand « jour. » C’est aussi qu’à cette « épreuve de lumière » se reconnaît le large métier, serviteur du grand art.

A l’idée nouvelle, qui se cachait pour vivre et grandir, la sculpture devenait donc inutile. C’est un art toujours de triomphateurs, et de vérité publique, non de rêve secret. On ne sculpte pas le mystère, ni le songe, ni l’abstrait ! Et le grand rêve chrétien emplissait déjà la nuit du monde romain. Pour des dieux auxquels on ne croyait plus, pour des empereurs passagers ou détestés, les artistes travaillaient sans conviction,