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du temps s’abolit pour eux : le grand sphinx de Giseh, taillé, en pleine montagne, par un peuple d’artisans au service d’une volonté artiste, manifestation colossale d’un art complet et définitif, est-il, comme l’affirme M. Maspero, l’œuvre des générations antérieures à Mini ? Ne l’est-il pas ? Qu’importe, si, du fond du désert, il regarde encore l’infini ! Il y a une ivresse pure à penser que Mini se fit roi à Memphis, bâtit des temples de granit et d’or, fonda la monarchie héréditaire sur les ruines de la théocratie sacerdotale ; et que tout cela est mort, et qu’il en reste, de par cette flamme, l’art, de la joie aux yeux et de l’idée au monde, quatre mille ans avant qu’un enfant triste et délicieux naquît d’une vierge à Bethléem, au fond d’une étable, où vinrent prier, par les anges conduits, d’adorables bergers, symbole des pauvres, des doux et des humbles ! Pour l’Enfant divin, on refera des œuvres d’amour, comme on fit des œuvres d’orgueil pour le tout-puissant Pharaon — mais le temple, mais tous les temples seront détruits, le grand sphinx achèvera de mourir dans son linceul de sable, — et non la représentation d’amour et de charité. Quel art maintenant la donnera complète et significative, si la sculpture n’y peut suffire ?

En Égypte, le sphinx colossal tient à la montagne ; la divinité tient au temple ; du même, la statue de bois est attachée à la momie, et la sculpture fait bloc avec l’architecture. Aussi la plastique reste-t-elle l’humble esclave de la construction symbolique : le temple seul est significatif en son tout. Mais bientôt l’industrie phénicienne, qui, depuis longtemps, avait exercé une action sensible sur les Grecs des îles et du Péloponèse, pénétrait jusqu’en Argolide, en Attique et en Béotie. Et, par un curieux effet de son histoire, selon que ce petit peuple phénicien, ingénieux, actif, et savant, que j’ai appelé[1] le « commis voyageur » de l’antiquité, se trouvait en relations commerciales avec l’Égypte ou avec l’Assyrie, l’influence changeait des modèles qu’il offrait à l’imitation des villes grecques : ouvrages d’argent et d’or, de verre ou d’ivoire, travaillés par les orfèvres et les verriers de Tyr et de Sidon, ou statuettes religieuses et vases précieux fabriqués en Égypte. Peut-être même la providentielle fusion de toutes les qualités orientales, noblesse hiératique des statues égyptiennes, exécution précieuse et ferme à la fois des œuvres d’Assyrie, —

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1898.