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homme, à l’heure nécessaire de la vérité et de la raison. Ainsi, les trois degrés de croissance de la sculpture, correspondant toujours à de précises époques de l’histoire, sont bien caractérisés en ces trois types d’ouvrages : le Vase, le Dieu, l’Homme.

Déjà le lointain potier pélasge, bien longtemps, sans doute, avant la grande arrivée des images et des rêves d’Asie, le mystérieux ancêtre, le presque inconnu précurseur du Grec pensif qui « ouvrira les yeux des idoles de bois, » donnait à l’argile qu’il tournait entre ses doigts malhabiles l’apparence d’un beau sein, comme si son âme présente d’enfant, — son âme future d’artiste, — eût voulu sentir, par le divin toucher des doigts, la forme et le désir encore du sein maternel qui l’allaita[1] ! Et, sans parler de l’âge de pierre, qui fut commun sans doute à toute l’Europe et pendant lequel un métier grossier d’artisans à demi sauvages tentait une sorte de rudimentaire sculpture aux haches de silex, il paraît certain que, dans la Grèce orientale, et dans les îles légendaires, déjà gagnées, en cette nuit préhistorique, par le vent qui venait d’Asie, chargé d’art, de parfums et d’idées, des ébauches de beauté naissaient aux mains étonnées des hommes.

Longtemps même avant toute influence d’Egypte ou d’Assyrie, les vases d’argile, œuvres brisées et vivantes encore, témoins blessés et beaux de la terre et du feu, comme le prouvent ceux qu’on trouva naguère à Hissarlik, peut-être dans les restes des murs mêmes de Troie, et ceux de Santorin, et, vraisemblablement, toutes les poteries « gréco-pélasgiques » de ces temps très lointains, semblent révéler, à des époques fabuleusement reculées, un commencement de civilisation artistique, à demi barbare, de paysans lointains et doux. Mais bien des siècles passeront avant que le vase, informe et délicieux, renflé en forme de gorge féminine, sans cesse modifié sous la main amoureuse des hommes, s’usant aux baisers des enfans pour renaître plus parfait et plus fragile sous les doigts du rude ouvrier, transmué à la flamme du feu symbolique en bronze sacré ou en verre subtil, aboutisse au torse vivant et pur, au sein puissant et doux de l’Aphrodite, qui dormait sous la terre de Milo, et que sculpta

  1. On sait que les grossières poteries, trouvées à Santorin, dans l’île de Théra, sous la pouzzolane, par conséquent antérieures à l’effondrement de l’île, comptent parmi les plus anciens monumens de la civilisation dans les pays helléniques, et peuvent remonter à dix-huit ou vingt siècles avant notre ère (Collignon).