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V

M. Chamberlain est donc logique en la conviant à cette révolution. Mais y est-elle vraiment prête ? On ne satisfera pas les grandes colonies, remarquons-le, en leur accordant quelques réductions sur le thé, le café, le vin, les spiritueux, le tabac que taxait seule, hier encore, la douane britannique et qui ne forment qu’une part infime de leurs exportations. Le gros de celles-ci se compose d’articles qui entrent en franchise dans le Royaume-Uni, quelles que soit leur provenance, et qu’il faudrait taxer dorénavant quand ils viendraient de l’étranger. Ce sont tous les produits alimentaires : grains, viandes, lard et jambon, beurres, fromages, œufs ; puis des matières premières, comme les cuirs et peaux. Peut-être même, car la protection appelle la protection, faudrait-il protéger plus tard la laine, pour laquelle la concurrence de l’Argentine pourrait devenir redoutable ; le coton aussi, que l’Empire britannique ne produit pour ainsi dire pas (sauf l’Inde qui n’a pas voix au chapitre), mais que l’Australie et l’Afrique du Sud seraient susceptibles de cultiver un jour.

Tenons-nous-en aux articles d’alimentation. L’Angleterre, on le sait, fait venir du dehors presque toute sa nourriture. Elle importe bon an mal an 160 millions sterling de produits alimentaires affranchis de tout droit de douane, plus 10 millions sterling d’animaux vivans : c’est en tout 4 milliards 250 millions de francs, plus de 100 francs par tête. Supposons qu’on frappe ces articles d’un droit moyen de 10 pour 100, qui serait modeste, et vite dépassé. C’est 50 francs que chaque ménage anglais ayant trois enfans devra dépenser de plus pour sa nourriture afin d’augmenter les profits des producteurs coloniaux. Croit-on que la population anglaise supportera pareil prélèvement sur ses salaires ? Les agriculteurs, les ruraux, dira-t-on peut-être, seront satisfaits de la nouvelle taxe ; mais combien sont-ils ? Sur 100 Anglais, 23 habitent la campagne et 77 les villes ; c’est l’opinion de ceux-ci qui prévaudra. Or, ces habitans des villes qui sont, comme tous les Anglais, gens de tradition et de compromis, souffrent bien qu’on donne de temps en temps aux agriculteurs, comme on l’a fait déjà plusieurs fois, quelque os à ronger sur les fonds du budget national, tant que leur propre budget ne s’en trouve pas lourdement chargé. Mais, qu’on relève les prix