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elle pu être rétablie, après sa rupture en 1860, si une vaste étendue de mer avait séparé les États du Nord des États du Sud ? L’unité allemande se serait-elle faite, si la Bavière avait été séparée de la Prusse par la mer ? Et d’ailleurs, l’Union américaine, l’unité allemande, l’unité italienne apparaissaient comme le seul moyen pour ces pays de se préserver des entreprises conquérantes de puissans États voisins. Les colonies britanniques, déjà protégées par l’Angleterre, ne jugent pas utile de se fédérer pour atteindre ce but, et, ce faisant, elles jugent sainement, le Canada surtout. L’Australie elle-même, nous l’avons dit, ne croit pas la protection de l’Angleterre aussi nécessaire peut-être qu’elle l’est réellement. Toutes les colonies préfèrent le statu quo à l’impérialisme, aujourd’hui que, les fumées de l’enthousiasme dissipées, elles en distinguent les traits véritables.

Toute leur évolution s’est faite dans le sens d’une autonomie de plus en plus grande, et elles n’ont aucune raison décisive de revenir en sens contraire. Leur idéal politique n’est pas de s’unir plus étroitement à la mère patrie, mais plutôt de relâcher de plus en plus les liens, sans les couper cependant tout à fait, de jouir de leur entière indépendance intérieure et extérieure, tout en restant protégées par l’Angleterre contre les entreprises du dehors, d’instituer une sorte de doctrine de Monroe de l’Empire britannique, où la Grande-Bretagne jouerait le rôle des États-Unis et elles-mêmes celui des autres Républiques américaines. Elles oublient que la Grande-Bretagne ne jouit pas de l’invulnérabilité des États-Unis et n’en peut avoir la liberté d’allures.

Une chose vient pourtant attirer les colonies vers l’impérialisme, c’est l’espoir de se voir accorder des privilèges sur le marché de la métropole ; elles en attendent tant de profits qu’elles seraient prêtes, pour y parvenir, à de réels sacrifices, — qu’elles regretteraient sans doute bientôt. Si l’on pouvait inscrire à l’actif de leur situation nouvelle un traitement de faveur aux douanes anglaises, elles accepteraient de porter au passif une augmentation de charges militaires, voire les quelques restrictions supplémentaires à leur self government que comporterait l’établissement de la fédération impériale. Celle-ci se ferait donc peut-être, — quitte à se rompre plus tard, — si l’Angleterre acceptait de devenir protectionniste.