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chaque Etat, province ou colonie est en partie théorique ; que le règlement des premières influe souvent beaucoup sur les autres. Les décisions du pouvoir fédéral en matière de défense militaire et navale, de droits de douane, d’immigration, entraîneraient des bouleversemens profonds dans la législation intérieure, dans le système fiscal, économique, social même des colonies. L’Australie en a des exemples par sa propre fédération, qu’elle ne referait peut-être pas aujourd’hui. A plus forte raison n’adhérera-t-elle pas à une fédération impériale dont la première conséquence, en modifiant son tarif douanier et ses lois sur l’immigration, serait sans doute de porter atteinte à ce socialisme d’Etat dont elle est, — à tort ou à raison, — si fière.

On peut dresser en quelques lignes le bilan de la situation actuelle des colonies, des avantages et des inconvéniens qu’elle offre relativement à l’indépendance : au passif, certaines restrictions à leur autonomie, faibles sans doute, mais réelles et dont elles s’exagèrent l’importance ; à l’actif, la protection de la flotte britannique, qu’elles n’estiment peut-être pas tout à fait à sa valeur. L’actif, à leurs yeux, compense à grand’peine, et de moins en moins complètement, le passif. Or, que résulterait-il de l’impérialisme ? Une augmentation du passif, puisque les pouvoirs fédéraux apporteraient nécessairement à l’autonomie locale de bien plus grandes restrictions que ne le fait la métropole ; et une diminution de l’actif, puisqu’il faudrait se charger de subvenir soi-même à une partie des frais de cette flotte, qui ne coûte rien aujourd’hui. La rupture de l’équilibre serait complète. Comment s’étonner que les colonies, dont l’esprit est, avant tout, pratique, refusent de conclure si détestable marché ?

Comme le disait un correspondant du Times, lui écrivant à l’occasion de l’article de l’Age de Melbourne que nous avons cité, les colonies n’ont aucune raison de contribuer à l’entretien de la flotte tant qu’elles sont sûres que celle-ci les défendra, même si elles ne paient rien. Le seul argument qui pût les y amener serait celui dont les citoyens de chaque pays usent vis-à-vis d’eux-mêmes pour se persuader de faire les frais d’une armée et d’une marine : « Vous ne serez pas en sécurité, si vous ne payez pas. » Pour l’employer, la mère patrie devrait leur refuser l’appui de sa flotte, si elles ne voulaient assumer une proportion raisonnable de ses charges. Mais l’emploi d’un tel argument ne risquerait-il pas d’être aussitôt suivi d’une déclaration d’indépendance ?