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des enthousiasmes de la guerre sud-africaine, et malgré l’impulsion énergique de M. Chamberlain, on voit les colonies se montrer si réfractaires au programme politique et militaire de l’impérialisme, si réservées même dans leur adhésion à son programme commercial, il est difficile d’espérer qu’elles s’y rallient jamais pleinement. Certes, l’histoire apprend qu’il n’est guère de grand mouvement politique ou social devant lequel ne surgissent des obstacles, lorsque de la phase de l’idéal on veut passer à celle du réel : ni la confédération américaine, ni l’unité allemande, ni l’unité italienne n’ont échappé à ces épreuves. Mais souvent, en pareil cas, les difficultés viennent de gouvernans à courte vue, effrayés des troubles de la période de transition ou se refusant aux sacrifices d’amour-propre qu’exigerait la substitution d’une grande unité nationale à la juxtaposition de petits Etats, tandis que l’âme des masses aspire d’instinct à cette unité, qui se réalise enfin le jour où des hommes d’Etat vraiment supérieurs savent en comprendre la haute utilité et briser tous les obstacles. En est-il ainsi pour l’impérialisme et son idéal, la fédération de l’Empire britannique ?

Il semble que ce soit précisément le contraire, et que les peuples des colonies y soient beaucoup moins portés que leurs politiciens. Au Canada, se produit en ce moment même une réaction très vive en faveur du protectionnisme ; les industriels, dont le nombre a beaucoup augmenté durant la période d’extraordinaire prospérité dont jouit l’Amérique du Nord depuis cinq ans, ne se soucient pas d’être sacrifiés à ceux de la métropole ; ils sont appuyés par leurs ouvriers ; l’opinion prête l’oreille à ces plaintes et, si M. Laurier persiste à vouloir faire ratifier par le Parlement les détaxes qu’il a fait espérer à la métropole, il est à craindre que son parti ne soit mis en minorité aux prochaines élections et que tout l’édifice du tarif préférentiel ne soit emporté. A côté du Canada, Terre-Neuve vient de conclure avec les Etats-Unis un traité de réciprocité commerciale par lequel elle leur accorde des réductions de droits de douane et s’interdit de concéder à quelque pays que ce soit, fût-ce à la métropole, un traitement plus favorisé : c’est la négation même de l’impérialisme. En Nouvelle-Zélande, enfin, M. Seddon n’a pas été reçu très chaleureusement par quelques-uns de ses anciens amis. M. Seddon et la Nouvelle-Zélande, si ardens qu’ils puissent se montrer aujourd’hui, sont, du reste, pour l’impérialisme, de bien incertains