Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

progressifs. Son remuant premier ministre, qui la gouverne depuis dix ans et sous le règne duquel se sont accomplies toutes ces innovations, est une curieuse figure. On pourrait presque dire que M. Richard Seddon est un second exemplaire de M. Joseph Chamberlain, un peu transformé à l’usage des colonies. L’origine, le caractère, la carrière de « Dick, » comme on l’appelle familièrement en son pays des antipodes, reproduisent dans leurs grandes lignes l’origine, le caractère et la carrière de « Joe, » avec seulement une légère transposition pour s’accorder au ton plus élevé du milieu colonial. C’est ainsi que Dick est sorti d’une couche démocratique un peu plus profonde que Joe et qu’il a commencé par être un radical-socialiste encore plus avancé. Fort tacticien électoral et grand batailleur, comme son prototype, encore plus imbu de l’idée de la supériorité britannique, innée chez tous les Anglais, et qu’ils laissent éclater d’autant plus que leur éducation première a été plus rude, il est devenu aussi un champion de l’impérialisme et du jingoïsme, partie par conviction, partie parce qu’il voyait le courant aller de ce côté et qu’il n’était point fâché de se faire porter par lui. Le milieu colonial différant du milieu anglais, il n’a pas été entraîné par-là à se faire l’allié des conservateurs, et il a pu devenir premier ministre en restant aussi radical que devant. N’existe-t-il pas du reste, en tout pays, des radicaux chauvins ? Ce sont même les plus exaltés : ennemis professionnels des traditions, ils dédaignent les formes courtoises dont la vieille diplomatie ne se départait jamais et ils deviennent particulièrement redoutables quand leur ardeur s’exaspère « dans la chaleur communicative des banquets. » En cette matière, la France n’a pas guidé le monde, la Grande-Bretagne nous avait devancés et l’on se souvient encore de certain discours fameux où M. Chamberlain déclarait qu’en négociant avec la Russie, il fallait se rappeler le proverbe : « Qui soupe avec le diable doit se munir d’une longue cuiller, » et où il faisait appel à une alliance avec l’Allemagne et les États-Unis, repoussée aussitôt, non sans quelque hauteur, par l’opinion et le gouvernement de ces deux pays.

Longtemps confiné dans ses lointains antipodes, fort ignorant de l’Europe, assez peu instruit même des hommes et des choses de l’Angleterre, qu’il a quittée tout jeune, M. Seddon se refuse à voir les perturbations profondes qu’entraîneraient dans la vie de la métropole tous les changemens qu’il préconise