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qu’en aient dit certains publicistes d’Allemagne qui ont voulu faire peser sur la France seule la responsabilité de la sécularisation, c’est la Prusse la première qui, dès l’année 1743, avait émis cette idée d’employer les biens d’Église pour arrondir ou pour indemniser royaumes et principautés laïques : Benoît XIV, puis Clément XIII, s’en étaient alarmés. Le congrès de Rastadt n’eut qu’à reprendre cette vieille idée prussienne ; et le cadastre des terres ecclésiastiques de l’Empire servit d’échiquier pour les jeux des diplomates. Une guerre nouvelle interrompit ces jeux ; la paix de Lunéville, en 1801, permit de les recommencer. Le septième article de cette paix garantissait à tous les princes héréditaires qu’avait appauvris l’annexion à la France de la rive gauche du Rhin un dédommagement territorial : ce dédommagement devait être pris « dans le soin de l’Empiré. » On fut d’accord, tout de suite, pour faire la chasse aux terres d’Eglise ; et une députation d’Empire se réunit à Ratisbonne pour continuer les précédens de Rastadt. Une sorte de bourse de commerce allait s’ouvrir, où les propriétés épiscopales et monastiques se détailleraient.

Mais, comme souvent il advient, c’est dans les coulisses, surtout, qu’eurent lieu les opérations fructueuses. La Prusse, la Bavière, plusieurs petites principautés, traitèrent séparément avec Bonaparte. Le sort des terres allemandes ne se réglait plus à Vienne ni à Ratisbonne, il se réglait à Paris : c’est à Paris qu’on apportait les enchères, qu’on envoyait suppliques, cadeaux, et même des complimens pour les victoires françaises ; les jacobins de la veille, devenus les meilleurs agens du pouvoir rénovateur, savouraient cette jouissance suprême, de faire les dégoûtés, tout d’abord, en face des riches présens des petits autocrates allemands, et puis de les accepter, par un retour de courtoisie, et de jeter aux donateurs, enfin, un peu de terre ecclésiastique, par pitié ; un ancien homme d’Église, Talleyrand, présidait, avec une aisance souveraine, à cette expropriation de Dieu ; à bon escient et au mieux de nos intérêts, il imposait à Dieu, comme successeurs, tantôt le Hohenzollern protestant, tantôt le Wittelsbach catholique, tantôt quelque autre larron de même rang. La Russie, d’avance, approuvait ces bouleversemens ; la Prusse et la Bavière occupaient sans retard, et sans demander à l’Empereur nulle permission, les domaines dont la France les investissait ; l’Autriche soutirait cruellement en constatant que