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chrétiens dissidens ; » ainsi s’intitulait un notable in-quarto, publié en 1763 sous la signature de Justinus Febronius. Cette signature masquait le coadjuteur de Trêves, Jean-Nicolas de Hontheim. Aucun écrit depuis l’Augustinus n’avait soulevé plus de passions. L’auteur invoquait Clément XIII et suppliait la Papauté de renoncer d’elle-même à des privilèges qui rendaient l’épiscopat ombrageux. Si elle refusait ce sacrifice, les États interviendraient pour protéger l’établissement religieux contre les menées ultra-montaines ; les Eglises accepteraient cette intervention, et déjà même elles la provoquaient en « se précipitant, çà et là, dans les bras » des princes catholiques (ruentes in amplexus). Si Rome, au contraire, laissait se desserrer les liens dont elle enlaçait l’Eglise d’Allemagne, tout affront lui serait évité ; le plus grave obstacle qui entravât la réunion des confessions chrétiennes serait écarté ; et cette réunion même serait proche.

Tels étaient en effet les progrès du rationalisme « éclairé, » parmi les catholiques comme parmi les protestans d’outre-Rhin, que Febronius en arrivait à méconnaître, ou tout au moins à juger insignifiantes, les divergences dogmatiques entre Saint-Pierre et la Wartbourg. Il croyait et disait que le succès de ses idées de réforme satisferait à tous les besoins et à toutes les plaintes qui, deux siècles et demi plus tôt, avaient insurgé contre Rome une moitié de l’Europe. Que tous les catholiques, le Pape en tête, se fissent fébroniens, et tous les protestans se feraient catholiques. Que le Pasteur suprême rentrât dans l’ombre, et les deux bercails entre lesquels se partageaient les fidèles du Christ ne tarderaient point à se confondre. Le titre même de l’ouvrage de Febronius laissait croire à des intentions d’apostolat ; sur la couverture d’un livre qui bravait l’unité romaine, le rêve d’union entre tous les chrétiens s’épanouissait, et c’était pour réaliser l’union que Febronius sapait l’unité. Il inaugurait ainsi cette longue série de tentatives auxquelles nous fait assister l’histoire religieuse de l’Allemagne contemporaine, et qui, chaque quart de siècle à peu près, sous le prétexte toujours déçu de réconcilier en Allemagne les confessions chrétiennes, mettent en péril l’intégrité dogmatique ou la cohésion disciplinaire du catholicisme universel.

Mais ce qui distingua cet effort de la plupart des velléités ultérieures, c’est qu’il obtint la faveur, tantôt ouverte et tantôt cachée, de la plupart des hauts dignitaires de l’Eglise