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dans nos lois des garanties sérieuses contre la prolongation de la détention préventive.

La liberté individuelle ne dépend pas uniquement de la bonté des lois criminelles. Il y a des lois civiles et des lois politiques qui y portent atteinte. S’il est vrai que cette liberté s’entende du droit d’aller où l’on veut, de fixer son domicile où il plaît, que dire des prétentions du pouvoir qui ose assigner à un citoyen une résidence ou lui défendre de s’y établir ? Il y a une année à peine, une telle allégation eût fait sourire. Nul n’eût compris d’où pouvait venir une semblable menace. En juillet 1902, elle devenait une réalité pour ces milliers de sœurs enseignantes qui, le même jour, recevaient du ministre de l’Intérieur l’injonction de quitter leur domicile légal pour se rendre en un lieu déterminé. Institutrices, elles avaient fait, au terme de la loi de 1886, une déclaration de domicile ; mandataires d’un certain nombre de pères de famille pour un service d’instruction, elles exerçaient dans la commune une véritable fonction reconnue par la loi. L’ordre qui leur était signifié et qui leur donnait huit jours pour quitter leur domicile et se rendre à la maison-mère était la plus audacieuse violation de la liberté individuelle. La lettre de cachet, cette forme antique et légendaire du despotisme d’ancien régime, ne menait pas toujours à la Bastille. L’ordre envoyé à un seigneur d’aller habiter ses terres constituait la forme la plus fréquente de la disgrâce. Qui soutiendrait que l’interdiction de séjour prononcée par nos lois pénales n’est pas une peine privative de la liberté ? Ignore-t-on que la loi italienne a fait une peine nouvelle de l’obligation d’habiter en un lieu déterminé ?

Depuis une année, nous assistons à de tels actes que l’injonction de quitter un domicile s’est trouvée comme enveloppée et perdue au milieu d’un débordement d’arbitraire. Il faut lui donner son nom : c’est une mesure de police, un fait de violence contraire à toutes nos lois. Comment s’y opposer ? Où est la sanction ? On ne peut, dit-on, déférer cet acte au Conseil d’État, juge des recours pour excès de pouvoir, parce que l’ordre constitue une simple menace. Oui, j’admets que le ministre a ajouté à l’illégalité le mensonge d’une menace qu’il savait inexécutable ; mais, en fait, le mal a été accompli, le préjudice souffert, les domiciles abandonnés sous le coup des ordres ministériels. « Vous deviez savoir le droit, réplique-t-on, et ne pas obéir. » Les expulsions manu militari, qui ont si profondément troublé nos pro-