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sitions[1]. On assure que 75 personnes furent arrêtées au milieu de la nuit. On pratiqua plus de cent visites domiciliaires sur différens points de la France. La plupart des détenus ayant été relâchés après un mois ou six semaines de détention, les autres furent renvoyés devant la Haute Cour, qui ne condamna que trois d’entre eux.

L’année 1902 devait voir des scènes bien autrement violentes. En vertu de quels pouvoirs agissaient les délégués des préfets, les commissaires de police qui menaçaient les écoles, faisaient crocheter les serrures et sauter les portes, expulsaient et arrêtaient les religieuses ? En vertu de quel droit agissaient-ils ? L’ordre venait, on le sait, du ministère de l’Intérieur ; mais, à moins de vivre sous le régime du despotisme turc, l’ordre n’a jamais fait le droit. Entre le ministre qui de Paris lance une injonction arbitraire et l’agent subalterne qui l’exécute, se place le préfet qui, armé de l’article 10, couvre tout. Ce qui était une violation de la liberté individuelle, une atteinte à l’inviolabilité du domicile, une méconnaissance du droit de propriété, tout cela est-il absous, tous ces crimes sont-ils effacés parce que le préfet, maître de toutes les armes de la loi pénale, aura invoqué le Code d’Instruction criminelle ?

Si l’abus éclatant d’un texte de loi doit en faire condamner l’usage, ce qui s’est passé depuis quatre ans est fait pour ouvrir les yeux aux plus aveugles. Dans un pays où le gouvernement appartient à l’opinion, où la majorité qui gouverne est essentiellement changeante, quel est le parti qui puisse se croire à l’abri du péril ? Il n’est douteux pour personne que les gouvernans d’aujourd’hui seront en minorité demain. Le nier, c’est fermer les yeux à l’évidence. Il y a donc un intérêt commun à supprimer une arme meurtrière et déloyale dont tous les partis seront tour à tour victimes.

Le malheur veut que, dans les temps troublés, quand les ardeurs s’allument, lorsque les passions deviennent de jour en jour plus violentes, la faction dominante s’attache aux armes de lutte et refuse de s’en dépouiller. Nous avons vu de nos jours assez de gouvernemens de combat pour connaître leurs mœurs

  1. Réquisitoire en date du 18 septembre 1899 (Procédure générale, p. 4). Le procureur général constate que les préfets ont agi en vertu de l’art. 10. Le recours à ce procédé était d’autant plus inutile que, le 12 août, un juge d’instruction de Paris, commis dès le matin, lançait d’autres mandats.