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clamé de la souveraineté du peuple, le capital lui est échu.

Il est donc permis d’affirmer que la défense de la liberté individuelle, la recherche d’une garantie protégeant les droits des citoyens sont les soucis, non de la foule, mais de ceux qui prévoient et qui pensent.


II


L’origine du mal ne suffit pas à nous éclairer, il faut voir quelle est sa nature.

On a dit, sous une forme qui est devenue un axiome, que la liberté des citoyens n’était jamais plus menacée que dans les procès criminels.

Cette vérité éclate quand on mesure les pouvoirs du juge d’instruction ; tous ceux qui étudient nos lois et qui les jugent n’hésitent pas à les trouver exorbitans : du jour où il est saisi par le réquisitoire du parquet, il a le droit de lancer des mandats d’arrestation, non seulement contre l’inculpé désigné, mais contre tout individu ; il peut requérir tout agent de les mettre à exécution par tous les moyens[1].

Le mandat de dépôt, signé de lui, est le point de départ d’une détention préventive dont lui seul fixe la durée. Contre la prolongation de l’instruction, aucun recours ne s’ouvre, car nul ne peut appeler recours une supplique au procureur général ou au garde des Sceaux. Pour se pourvoir, il faut que le juge ait rendu une ordonnance. Or, un mandat d’arrestation ou de perquisition, une visite domiciliaire, une saisie de lettre à la poste, ne constituent pas en eux-mêmes des actes susceptibles de recours légal et direct devant la Chambre des mises en accusation. Le nombre d’actes que peut prescrire un magistrat instructeur, sans que s’ouvre pour l’inculpé ou pour les tiers un moyen de les contester et de s’en plaindre, est véritablement effrayant. Un des

  1. Depuis trois mois, nous voyons sur tout le territoire se faire des expéditions militaires contre des couvens : procureur de la République, juge d’instruction, sous-préfet, commandant de gendarmerie, bataillon d’infanterie, arrivent de nuit devant une abbaye ; les sapeurs du génie attaquent la porte à la hache ou à la dynamite ; on fait le siège du monastère ; on le prend d’assaut ; on l’envahit et on saisit les religieux à la chapelle. C’est l’exécution pure et simple d’un mandat d’amener lancé par le juge d’instruction contre des religieux. Il n’y a pas d’exemple plus frappant de ce que la violence et l’absolu peuvent tirer d’un texte de loi. Les garanties n’ont d’autre but que de limiter l’usage des lois au point où elles deviennent un intolérable abus.