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mesure de police, » ni dans les codes de l’Empire ; qui organise à grand bruit, au sein du Sénat, une commission de la liberté individuelle, afin de faire oublier l’établissement de huit prisons d’État ; ni sous la Restauration, où les lois du 29 octobre 1815 et du 26 mars 1820 confèrent au pouvoir le droit d’arrêter et de détenir, sans renvoi devant les tribunaux, les individus inculpés de certains délits politiques, ni, enfin, sous le second Empire où, en pleine paix, six ans après le coup d’État, la loi du 27 février 1858 permettait « d’interner ou d’expulser du territoire, par mesure de sûreté générale, » toute une catégorie de Français « que des faits graves signaleraient de nouveau comme dangereux pour la sûreté publique. »

Il ne s’agit pas ici d’évoquer ces souvenirs pour la satisfaction de montrer quel démenti donnent aux plus pompeuses déclarations les passions de parti à l’heure où elles triomphent. Ce qu’il faut retenir, c’est que chaque gouvernement a cru de bonne foi, lorsqu’il se sentait le maître du pays, qu’il accomplissait son devoir, et qu’en suspendant la liberté individuelle, il assurait le salut public. Et, ce qui est bien autrement grave, en chacune de ces crises, au moment où le Consulat, l’Empire, la Restauration prenaient ces mesures extrêmes, l’opinion publique les absolvait !

Ne cherchons pas ce que l’opposition, devenue triomphante, a dit, quelques années plus tard, d’actes qu’elle s’attachait à flétrir. Prenons la date de ces décrets, de ces lois ; et constatons que le premier Empire était indiscuté ; que les ministres de la Restauration disposaient dans les Chambres de majorités imposantes, que les plébiscites assuraient au second Empire la force d’une quasi-unanimité, et que la violation de la liberté individuelle n’a été, pour aucun de ces gouvernemens, ni la cause de la chute, ni le grief populaire.

La masse de la nation est presque toujours du côté du pouvoir ; elle n’aime pas les victimes ; ses regards s’en détournent ; elle y voit une tristesse et une impuissance ; elle aime avant tout la force et elle a la passion de l’autorité. Elle est enivrée de la toute-puissance de l’État. Quand on lui parle de limiter les droits des fonctionnaires, elle sent se réveiller en elle, par une sorte d’atavisme, d’anciennes ardeurs qui la poussaient jadis à fortifier les droits du roi et à les augmenter sans cesse par une sorte d’épargne héréditaire dont, grâce au dogme pro-