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traînaient au concert, au théâtre ont langui mortellement. Plus ingrat encore et tournant, piétinant sur place, a paru le trio qui suit et que l’invraisemblable chœur des voisins accompagne. Ainsi dans la partie dramatique de l’œuvre, ou qui devait l’être, la représentation n’a fait qu’allonger les longueurs et creuser les vides, ou les trous, plus profonds.

Pour les combler cependant, l’intrépide arrangeur n’a reculé devant aucune besogne. M. Gunsbourg, homme de théâtre, a trouvé que la symphonie occupait dans la Damnation de Faust une place exorbitante et que certains épisodes risquaient, en se prolongeant, de laisser les acteurs inoccupés sur la scène et, dans la salle, le public inattentif. Alors que n’a-t-il point osé ? Avec un courage tranquille, il a garni, fortifié de paroles ces passages indigens. Sur la partie mélodique de l’orchestre, il a fait chanter par Faust et par Méphistophélès des propos de son choix ou de son cru. Après tant d’hommages en quelque sorte matériels, rendus au chef-d’œuvre de Berlioz, nous avons estimé que celui-ci, d’ordre purement artistique, était encore le plus digne de remarque et de souvenir.

Il n’est pas impossible que la voie, ou la brèche ouverte ainsi, peu à peu s’élargisse. D’autres ouvrages attendent le même destin et recevront de semblables honneurs. Les oratorios de Haendel ou de Bach ne se prêtent pas moins à la mise en pièce que la Damnation de Faust. Les cycles de Schubert et ceux de Schumann : le Voyage d’hiver et l’Amour du poète ; que dis-je, des lieder isolés : le Noyer et le Roi des Aulnes, le Joueur de vielle et la Truite fourniront en des genres variés des spectacles délicieux. Puis, de la musique chantée s’élevant à la musique pure, quelque initiateur plus hardi portera sur la scène deux symphonies tout indiquées de Beethoven : l’Héroïque et la Pastorale. Telles sonates enfin : le Clair de lune, ou l’Aurore, ou les Adieux, l’Absence et le Retour, seront promues à la dignité de tableaux vivans. La dernière surtout, dédiée à l’archiduc Rodolphe allant prendre possession de son siège archiépiscopal, comporterait de véritables splendeurs. Gounod assurait autrefois qu’il suffit d’un interprète pour calomnier un chef-d’œuvre. Que dirait-il aujourd’hui d’un imprésario !


Divers artistes, dont les deux plus célèbres sont Mme Calvé et M. Alvarez, ont chanté les deux rôles de Marguerite et de Faust. Au contraire, M. Renaud fut le Méphistophélès unique. Il apporta dans la composition vocale et surtout pittoresque du personnage, de