Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rêve : ils l’ont faussé. Ils ont trahi l’idéal particulier et profondément allemand du sublime épisode. Tout en est altéré : le sentiment et le paysage, ou plutôt c’est, par le paysage qu’est dénaturé le sentiment. Où donc la musique, la musique seule, avait-elle conduit le héros ? Sur le bord d’un grand fleuve de son pays, aux eaux puissantes et douces. Là, parmi les fleurs, elle l’avait endormi sur le gazon, à même la terre, cette terre natale dont il est le fils bien-aimé. La seule musique encore une fois, mais la musique tout entière : les mélodies, les accords, les rythmes et les instrumens, avait merveilleusement exprimé la prise ou la reprise de l’homme par la nature et la communion profonde où son âme se mêle à celle de l’univers. Sur l’incantation de Méphistophélès, étrangement attendrie et paternelle, sur le chœur mystérieux et bienveillant des Esprits, le grand souffle du panthéisme de Gœthe avait passé. Pour le détourner, il a suffi d’asseoir Faust sur un banc d’opéra-comique, sous un clair de lune de romance, parmi des danseuses de féerie ; et le génie de l’Allemagne, et celui de Faust, et celui de Gœthe, et celui de Berlioz, en un moment se sont évanouis.

Constamment il en alla de même. En cette soirée de malheur, chaque fois que le rideau se leva sur une nouvelle scène, il découvrit une trahison nouvelle, et dans notre mémoire et dans notre imagination nous sentîmes quelque chose mourir.

Il est écrit sur la première page de la partition — de la véritable, de l’ancienne, qu’une autre vient de contrefaire et de parodier : « Faust seul dans les champs au lever du soleil. » On nous le montre ici dans une espèce de vérandah, la nuit. Bientôt le jour paraît, éclairant par degrés une vallée étroite, en forme d’entonnoir, que domine un petit château. Et ce paysage étriqué, tout en hauteur, est aussi contraire que possible à la musique, dont le caractère est justement ici de s’étendre et de s’étaler. Dès lors, plus de perspective. De mouvement, pas davantage, et, de même que l’horizon est réduit, le personnage est figé. Faust, au concert et par le seul prestige de la symphonie, semblait aller, venir, tantôt se mêler aux paysans, tantôt s’éloigner d’eux. Sur le théâtre, il reste immobile, embarrassé, et la mise en scène fait de cette errante, de cette vivante « rêverie d’un promeneur solitaire » le monologue le plus froid et le plus fastidieux.

Hélas ! à quel défilé carnavalesque a-t-elle réduit la Marche hongroise, cette poussée formidable de toutes les armées se ruant à toutes les guerres ! Avec un art ingénieux, M. Gunsboiyg en a prétendu représenter les péripéties et dégager les symboles. Du haut