Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été apportée de Virginie en Europe en 1613. C’est une touffe herbacée, haute d’un mètre environ ; elle a des feuilles simples ayant quelque ressemblance avec une oreille d’âne, d’où le nom de la plante. Elle porte de belles fleurs, jaunes en général. Sa racine rouge, pivotante (raiponce rouge), est comestible. Introduite en Hollande, elle s’y est acclimatée ; elle y est cultivée ; elle y croit aussi à l’état sauvage ou subspontané, échappée des jardins et des cultures.

Une espèce de ce genre, l’Onagre de Lamarck (Œnothera Lamarckiana), était, en particulier, assez répandue autour de la petite ville d’Hilversum. Or, en 1875, on observa que, dans ce cantonnement, l’espèce présentait une vigueur inusitée et une puissance de multiplication et de dispersion remarquables. Les variétés se multipliaient à profusion, et il y avait donc tout lieu de supposer que cette plante était dans sa crise plastique, dans sa période de mutation. H. De Vries la cultiva dans le champ d’expériences du Jardin botanique d’Amsterdam, — non que la culture dût intervenir pour favoriser la production des formes nouvelles, mais parce qu’elle était un moyen de les conserver, de les aider, de les protéger et de leur donner plus de chances de se maintenir. Les semis ont été continués, et les plantes observées pendant près de quatorze ans, de 1886 à 1900. En 1887, on vit apparaître un type nouveau. En 1888, il y avait déjà deux espèces nouvelles. En 1900, au bout de huit générations, H. De Vries avait obtenu, sur 50000 plants venus de semis, 800 individus nouveaux appartenant à sept espèces inédites. Il y a donc huit cents individus sur cinquante mille en voie de transformation spécifique. L’activité de la mutation dans laquelle se trouve cette plante est exprimée par le chiffre de 1,5 pour 100.

Les espèces nouvelles ne ressemblaient en rien aux variétés individuelles de l’espèce souche. Elles se montraient subitement sans préliminaire ni intermédiaire. — Le soin avec lequel ont été exécutés ces essais leur donne une valeur qui les impose à l’attention des naturalistes ; leur résultat constitue un nouvel et puissant argument en faveur de la théorie de la mutation.


A. Dastre.