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de la variation lente darwinienne. Le savant hollandais a, en quelque sorte, remanié toutes ces notions et il les a codifiées en un système cohérent. Ce système existait déjà en germe dans le petit ouvrage bien connu qu’il avait publié en 1889, sur la pangénèse intracellulaire. C’étaient alors des vues purement théoriques, car, à cette époque, il n’en était encore qu’au début de ses vérifications expérimentales. Mais depuis lors, quelques-unes de ses expériences ont eu un éclatant succès. Aujourd’hui ce sont donc des vues contrôlées et vérifiées que le célèbre botaniste présente au public savant dans son ouvrage sur la Théorie de la Mutation, récemment publié à Leipzig.

Sa doctrine c’est, comme on peut le prévoir d’après ce qui précède, la négation du transformisme graduel et l’affirmation du transformisme brusque. — Les espèces, en général, ne jouissent point de l’existence parfaitement unie et monotone à laquelle ont cru les naturalistes de l’école de Linné et de Cuvier. La paléontologie nous enseigne qu’elles ont un commencement et une fin, et qu’au cours de leur durée elles présentent deux sortes de périodes, des périodes de mutation et des périodes d’état, des temps de calme et des temps de révolution. L’observation des espèces actuelles confirme cette manière de voir.

D’ordinaire la principale « période de mutation » se place au début même de l’apparition de l’espèce, au temps de sa naissance ; mais cela n’est pas absolu. En outre, la phase ou l’ensemble des phases de plasticité est plus ou moins courte, par rapport au reste de l’existence. C’est à ces seules époques que l’être vivant est susceptible d’éprouver des mutations d’ordre spécifique ; il est immuable le reste du temps, c’est-à-dire pendant la majeure partie de la durée. À cause de cela, la période de plasticité ou de mutation échappe le plus souvent à l’attention, et on observe la plupart des espèces, précisément dans le moment où elles sont réellement invariables, c’est-à-dire seulement susceptibles de ces petites modifications secondaires qui peuvent conduire tout au plus à la formation des variétés et des races.

Lorsque, au contraire, l’espèce est dans sa période de mutation, elle offre une abondance de variations spécifiques, que leur caractère distingue des petites variations individuelles. Elles sont, en effet, brusques, nettement tranchées, permanentes, fixées et héréditaires dès leur apparition, et elles entraînent l’infertilité du croisement de la forme nouvelle avec la forme souche. Elles conduisent en un mot à la transgression des limites de l’espèce.

Telle est l’hypothèse nouvelle de la mutation. Avant d’en exposer