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quels il tâta la confiance du public et les forces des acteurs, et risqua une pièce de Shakspeare, Macbeth. Déjà il avait débuté, avant même que le Théâtre du Peuple fût assuré d’une existence durable et d’un nom, par jouer une comédie de Molière, le Médecin malgré lui ; le succès en fut complet ; cette farce est en effet facile à monter et facile à comprendre. D’ailleurs Molière est le plus grand et le plus universel des auteurs comiques populaires : son théâtre presque tout entier est de nature à plaire immédiatement à un public composé en majorité d’élémens simples, presque incultes même ; je sais qu’en Russie devant un auditoire de moujiks, une pièce comme Georges Dandin est de celles qui obtiennent le plus grand succès.

Pour Macbeth, la difficulté d’interprétation et de mise en scène étaient grandes, et il y eut quelque audace à tenter dès maintenant l’entreprise. Quelles que soient les imperfections d’un pareil spectacle, — nul, mieux que celui que son admiration pour Shakspeare poussait à cette tentative, ne pouvait les sentir, — le résultat ne saurait être regretté : on a pu dire que par la composition du public et la naïve sincérité des interprètes, cette représentation se rapprochait plus qu’aucune autre des conditions mêmes où le poète anglais donna son œuvre au public. L’accueil que lui firent les spectateurs et l’impression qu’ils en gardèrent sont tels qu’ils nous ont déterminé à annoncer cet été deux représentations, au lieu d’une, du chef-d’œuvre shakspearien. Voilà, je crois, une preuve assez décisive que le drame intéresse notre public et ne l’attire pas moins qu’une farce, encore que les marques de son plaisir y soient moins bruyantes et moins passionnées. Et ceci nous amène à répondre aux écrivains qui croient que des pièces rustiques conviennent seules à des spectateurs rustiques.

Ils se trompent sur quelques manifestations mal interprétées : en réalité, c’est leur goût de raffinés qu’ils attribuent au public simple. Blasés par tous les spectacles qu’ils ont vus, ils cherchent avant tout l’originalité, au moins extérieure, qui stimulera leur curiosité défaillante ; ils apprécient cette qualité dans les pièces qui mettent en scène des paysans et leur présentent la peinture de mœurs encore nouvelles pour eux, d’une vie différente de leur propre vie. Mais ils ne voient pas que la raison même qui les pousse à rechercher des œuvres de ce genre en est une, pour les paysans, de préférer à leur tour les œuvres qui les initient à