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transformation de leur être et un effort considérable pour plier leur langage et leurs attitudes à un style qui est, non pas l’imitation directe, mais une transposition artistique de la vie. Il convient donc de n’y employer autant que possible, pour éviter une interprétation discordante et aisément grotesque, que les sujets ayant reçu une instruction assez étendue : on réservera aux pièces campagnardes et aux comédies rustiques ceux qui seraient incapables d’exprimer, sinon de comprendre, les sentimens prêtés aux héros, ou dont l’accent, trop local, détonnerait étrangement dans le langage poétique du drame. Au reste, la question de savoir jusqu’à quel point des œuvres de ce genre peuvent être représentées sur une scène comme celle-ci, soit au point de vue des acteurs qui les interprètent, soit au point de vue des spectateurs qui les écoutent, est assez délicate : nous devrons y revenir. Disons tout de suite qu’il est nécessaire et qu’il n’est pas impossible de développer peu à peu chez ces acteurs les qualités, purement instinctives au début, que l’on a reconnues en eux : c’est affaire de temps et de patience. Il n’est pas question, d’ailleurs, d’arriver à faire d’eux des acteurs professionnels : fort heureusement, ces représentations, sans doute par le caractère de fête qui leur est conservé, n’éveillent point, chez les comédiens de Bussang, l’idée qu’ils pourraient en tirer un métier ; et je n’ai pas eu le remords de voir un de ces jeunes gens, même parmi ceux dont l’amour-propre semble le plus excité par les applaudissemens, manifester l’envie d’abandonner l’étude qui l’occupe ou la tâche qui le nourrit, pour monter sur les planches. À Paris, sans doute, le risque serait plus grand ; trop de tentations pousseraient le jeune homme ou la jeune fille, grisés par une ombre de succès, à abandonner l’atelier pour la scène ; et c’est, à mon sens, une raison de plus, entre autres, pour qu’un théâtre populaire parisien ne cherche pas à recruter sa troupe parmi des amateurs : à quoi bon ce soin, dans une ville qui compte tant de professionnels sans emploi ? Il n’aboutirait guère qu’à produire des acteurs médiocres et à grossir le nombre des cabotins.


IV. — LE PUBLIC

Le Théâtre du Peuple donne deux sortes de représentations : les unes payantes, les autres gratuites. Le produit de la représentation payante ne sert qu’à couvrir les frais, ou du moins une