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spectacle se rapprocherait du théâtre antique par les conditions matérielles de la scène, faite pour une vaste assemblée, et aussi par le dessin général des œuvres représentées : celles-ci devraient en effet, pour être comprises de tous, dérouler une action facile à saisir, faite pour émouvoir le cœur et non pour chatouiller l’intelligence, avec une conclusion morale (au sens le plus vaste et le moins utilitaire de ce mot), capable de justifier, dans l’esprit du public, les émotions du jeu ; elles seraient traitées largement, sans complication de sentimens et sans raffinement de pensées ; presque religieuses dans la gravité, ou franchement épanouies dans le rire. Mais bien entendu, là s’arrêterait l’analogie ; et l’on se garderait d’emprunter au théâtre antique ses sujets et ses procédés, pas plus qu’on ne reprendrait au théâtre du moyen âge, — auquel le Théâtre du Peuple pourrait aussi s’affilier, — ses mystères et ses facéties. Une pareille reconstitution n’a guère de valeur que pour des archéologues ou des dilettantes ; le public, la grande foule à laquelle on s’adresse, n’est touchée que par des êtres vivans de sa vie ou au moins vivans dans son souvenir, et non par des fantômes entourés de bandelettes savantes.

Pense-t-on que, pour être né aux champs et ne disposer que de ressources limitées, ce théâtre soit condamné à n’offrir qu’un divertissement rustique assez grossier ? Mais c’est peut-être une corruption du goût de tenir la simplicité pour un obstacle à l’art, tandis qu’elle en est sans doute une condition essentielle. Rien n’empêche de mettre dans ces spectacles autant d’art qu’il en peut tenir dans une œuvre humaine : ceci ne dépend que de la qualité de l’artiste. Et le voisinage de la nature, au sein de laquelle l’écrivain se place, le contact d’une vie plus large et moins factice où il peut s’inspirer, ne lui apportent-ils pas des élémens nouveaux, capables de compenser le luxe dont il se dépouille et la complication des sentimens, à laquelle il devra renoncer ?

Enfin, le théâtre ainsi compris offre peut-être aux écrivains que rebutent les exigences matérielles et morales de la scène moderne, un moyen de s’en affranchir ou un refuge pour les éviter. Une simple allusion à ces exigences suffit ici : car le public commence à soupçonner, et ceux qui ont dû s’y risquer ne connaissent que trop ce que l’on nomme la cuisine théâtrale, d’un mot assez bas, qui rend à peine aujourd’hui le genre de besogne, la qualité des ouvriers et les odeurs de ce lieu