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pas laides, — portent une énorme moustache tatouée sur la lèvre supérieure. Elles travaillent aux quelques champs que la famille possède, pendant que les hommes se livrent exclusivement à la chasse ou à la pêche, aux sports d’agrément, — m’explique le missionnaire. Ces gens n’ont rien de la race jaune. Ils ressemblent à des Cosaques et durent venir de Sibérie, à des époques lointaines, pour occuper cette île d’où ils se répandirent, dit-on, dans tout le Japon, il y a bien des siècles. Maintenant ils diminuent, succombent aux maladies et à l’absorption étrangère, sont destinés à disparaître comme toutes les races vaincues.

Si Morooron n’est qu’une bourgade, Hakodate, un peu plus à l’ouest, est une grande cité de quatre-vingt mille habitans. Pleine de mouvement, sillonnée de tramways, construite sur un isthme, entre deux mers, au bord d’une baie magnifique, cette ville serait un lieu de séjour fort agréable s’il n’y faisait pas si froid. Mais, habitués aux chaleurs tropicales, nous frissonnons dans le vent glacial qui souffle sans discontinuer. Une visite à la mission, sur une hauteur, tout en haut de la ville, avec une vue superbe ; une visite aussi à une école de filles délicieusement bien tenue par des sœurs françaises qui cherchent à inculquer à leurs jeunes élèves un peu de notre langue, — qu’on ne parle plus guère, — et nous nous décidons à lever l’ancre.

C’est par un temps froid, brumeux et triste que nous quittons définitivement la terre japonaise, nous dirigeant sur Vladivostock. Il y a une grosse houle méchante et dure qui nous secoue brutalement avec des bruits sinistres de meubles qui tombent, de vaisselle cassée. Le vent fraîchit encore quand nous avons franchi le détroit ; il passe dans le grément avec de longues plaintes humaines. Moi aussi j’ai envie de me plaindre et j’éprouve une vague tristesse à laisser derrière moi ce pays si gai, si joli, si propre, ou il y a tant de fleurs, tant de bibelots inutiles et précieux. Monté sur la passerelle, devant la mer grise qui déferle, je songe aux mousmés qui trottinent par les rues ensoleillées avec un bruit de castagnettes, et au sourire toujours niché dans les fossettes de leurs joues roses et dans leurs petits yeux bridés.


MARSAY.