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des repas aussi mauvais qu’en Europe. Nos chambres sont au rez-de-chaussée et donnent sur un jardin. Elles sont coupées en deux par des cloisons en papier. Portes et fenêtres, en papier également, glissent dans des rainures. Par terre, des nattes très propres, souples et douces aux pieds comme des tapis d’Orient. Il y a peu de meubles : un lit, une chaise, une toilette, une table. Mais bientôt cela s’encombre d’une quantité de bibelots que nous achetons chaque jour, d’armes, de bronzes, d’ivoires, de laques ; et cela prend un air bric-à-brac et désordonné qui nous semble très japonais.

On est fatigué le soir quand on a circulé toute la journée par la ville, visité douze ou quinze temples, marchandé des centaines d’objets très chers dont on a très envie. Mais allez donc dormir dans un hôtel japonais ! Avec ces murs en papier on entend tout ce qui se passe. Et il doit se passer de curieuses choses, si j’en juge par les rires qui résonnent dans toute la maison. Justement voilà mes glissières qu’on tire ; une mousmé, deux mousmés qui entrent. Qu’est-ce qu’elles veulent, ces poupées ? Elles saluent très poliment, en riant, comme bien vous pensez. Elles vont à la toilette qu’elles nettoient ; c’est gentil, mais je trouve l’heure mal choisie. Et elles mettent un temps ! Ne vont-elles pas s’en aller bientôt ? Maintenant les voilà près de mon lit qui saluent et qui rient. Doucement, par les épaules, je les reconduis jusqu’à la porte. Et là, en chemise, ployé en deux, les mains sur les genoux : « Bonsoir, mesdames, bonsoir, Saïonara. »


Il y a bien des temples à Kyoto, une centaine, je crois. Le plus vieux de tous, le plus vénérable et le plus beau est celui de Shina-Shoni. Il ne faut pas considérer un monument japonais comme une chose unique. C’est au contraire un ensemble de bâtimens disposés sur un grand espace dans un ordre qui souvent nous échappe. Ici ce sont des édifices immenses entourés de cours et de jardins. Un sol de parquets brillans et de nattes blanches où on glisse sans bruit. Des colonnes de bois laquées d’or, des peintures sombres dans des salles ou nul ne pénètre, des peintures qui semblent toutes noires sur des fonds d’or. Au-dessus des portes, des pièces de bois énormes qui sont des merveilles, faites d’un seul morceau, sculptées à jour, fouillées autant en profondeur qu’en largeur, et représentant des feuilles entrelacées, des chrysanthèmes aux mille pétales, de larges