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un de ces temples bizarres dont ce peuple a le secret, avec cet art de tourner au grotesque tout jusqu’à ses dieux mêmes, je demandais à un Chinois lettré : « Que croyez-vous donc ? » Il me répondit : « Le peuple croit aux âmes des ancêtres, mais nous, les gens instruits, nous savons bien qu’il n’y a rien après la mort. » Je pense en effet que c’est bien là le dernier mot de leur philosophie. De la vague religion des aïeux, ils n’ont conservé qu’une superstition plus vague encore. Mais ils la conserveront toujours parce que c’est une tradition et que dans ce pays immuable et momifié on ne démolit pas plus qu’on ne répare. L’esprit s’en est allé, mais la grimace reste.

Je souhaite mieux cependant au vieux prieur de Fou-San. Il était sympathique avec son gros ventre, sa démarche encore souple, sa figure ronde et joyeuse. Nous avons dû le quitter avec une poignée de main et quelques dollars… pour ses pauvres. J’espère qu’il vivra encore quelques années, paisible sur sa montagne, exerçant largement l’hospitalité envers tous ceux qui passent. Dieu, — qui est bon, — lui fera peut-être la surprise de le recevoir dans un paradis qu’il ne soupçonne pas.


NAGASAKI

Avril 1900. — Une matinée délicieuse et tiède avec un soleil de printemps. A l’horizon, des montagnes petites mais gracieuses au profil très pur ; une côte joliment découpée de caps et de baies ; des îlots boisés semés dans les flots bleus : c’est le Japon. La première impression est charmante, et cette rade de Nagasaki est à coup sûr une des plus ravissantes choses qui soient au monde. Les montagnes sont d’un vert attirant ; la mer claire et pâle ; la rade s’enfonce dans les terres, très étroite, serpentant entre les collines comme un sentier sous les arbres. Et on comprend que, si le chenal présente tant de sinuosités, c’est une délicate attention, c’est pour permettre de considérer le paysage sous tous ses aspects, de les comparer, de les admirer, et cela uniquement parce que le Japonais a le sentiment de l’art, aime la nature, est paysagiste. Et on se sent de la reconnaissance. Mais halte-là ! Le Japon est aussi le pays des choses bizarres et des contrastes. C’est ici qu’on met du poivre dans les bonbons et du sucre dans le potage. Attendons le poivre :

Tout de suite il se présente sous forme d’une chaloupe à