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où l’on parle d’une loi sur les retraites ouvrières. A moins d’élever les cotisations des membres participans dans une forte proportion, probablement celle du double, la mutualité proprement dite, à elle seule, est incapable de les constituer. Ce seront les membres honoraires, c’est-à-dire le patron et le rentier, aidés par l’Etat, qui s’en chargeront. Pense-t-on, avec des ressources aussi aléatoires, arriver à former l’appoint nécessaire pour une si vaste entreprise ? Toute la question des retraites ouvrières est là, si l’on estime qu’elle doive être résolue par la mutualité. De telles considérations donnent à réfléchir. Aussi même parmi les apôtres les plus ardens de la mutualité, plusieurs sont arrivés à cette conclusion qu’on n’organiserait pas les retraites, si le principe de l’obligation n’était pas inscrit dans la loi. D’après une disposition introduite après coup dans le projet actuellement en discussion à la Chambre des députés, il a été décidé que, le principe de l’obligation établi, on laisserait à l’individu la liberté de faire l’acte de prévoyance comme il l’entendrait : « Permettez-lui de le faire par tous les moyens les plus libres, les plus économiques, les plus à sa portée, les plus conformes à son goût, à son tempérament ; laissez-le surtout pouvoir le faire par les voies de la libre initiative et de l’accord commun avec ceux qui l’entourent, avec la famille élargie, et qu’est-ce que c’est que la famille élargie, sinon la société de secours mutuels[1] ? »

Pourquoi M. Léon Bourgeois s’arrête-t-il en chemin, après avoir abordé un ordre d’idées aussi intéressant ? Dans une autre partie du même discours, il avait représenté la mesure contraignant l’individu à la prévoyance comme un acte en somme parfaitement intéressé de la part de la société : « Un homme qui ne s’est préoccupé du lendemain ni pour lui, ni pour les siens, n’est pas seulement le bourreau de lui-même ; il nuit à tous, puisque, à un moment donné, cet égoïste et ceux auxquels il a donné la vie vont tomber à la charge des autres hommes. » Ainsi, si la société impose l’obligation de la prévoyance, elle est tout simplement dans le cas de légitime défense. Voilà la prévoyance dans toute sa brutalité, telle qu’elle nous est présentée par l’école radicale. Puisque M. Bourgeois, par une pente naturelle qui est la logique des faits, et comme malgré lui, avait fait intervenir incidemment la famille dans le règlement d’une telle

  1. Discours de M. Léon Bourgeois, prononcé dans une réunion mutualiste et publié par le Musée social de février 1902.