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Waldeck-Rousseau, alors président du Conseil, ajoutait : « Si l’on réfléchit que ce résultat a été conquis en moins de trente années, on a le droit de dire sans témérité que la mutualité aura, dans l’ordre social, accompli une révolution pacifique, la plus féconde qu’aient jamais enregistrée les annales d’un peuple. » (Applaudissemens prolongés.) Ceci est évidemment la partie hyperbolique de rigueur dans toute harangue officielle, et il faut pardonner ce passage à celui qui fit voter la loi de 1884 sur les syndicats professionnels, institution qui nous semble avoir une portée sociale autrement grande que les sociétés de secours mutuels.

D’autres hommes politiques, et non des moins en vue, se sont faits les apôtres de la nouvelle religion. Dire que celle-ci sera la base de la société nouvelle, d’autant qu’on ne semble habituellement viser que les sociétés de secours mutuels, alors que, dans la mutualité, on doit comprendre tant déformes ingénieuses de coopération, de caisses de crédit et d’assurances, cela peut paraître excessif. Avant de se prononcer, sans doute serait-il à propos d’examiner ce que sont au juste nos sociétés de secours mutuels, dont trop de gens parlent sans en avoir étudié les principes ni le fonctionnement, d’ailleurs quelquefois compliqué.

Rappelons d’abord, non pour combattre le courant actuel des idées, mais pour noter des opinions encore récentes, que la mutualité est loin d’avoir toujours joui d’une telle faveur. On connaît trop l’article 2, si souvent cité, de la loi du 14 juin 1791 interdisant aux citoyens d’un même état ou profession de se réunir pour délibérer sur leurs « prétendus intérêts communs » Ainsi l’Assemblée constituante, dont la législation a été sans cesse imprégnée de l’idée abstraite de lutte, repoussait, il y a cent ans, une organisation rationnelle et pratique du travail ; mais on sait moins que le vote de ce décret fut amené par les pétitions que, depuis plusieurs mois, les corps de métiers, charpentiers, maçons, serruriers, imprimeurs, faisaient parvenir à l’Assemblée afin qu’il leur fût permis de se réunir pour procurer des secours à leurs camarades malades ou sans travail. Les pétitionnaires s’étaient d’abord adressés à la municipalité parisienne, qui leur avait donné gain de cause. Mais, dans le rapport qui précéda le texte du projet de loi, le député Le Chapelier écrivit ce qui suit : « Les assemblées dont il s’agit ont présenté, pour obtenir l’autorisation de la municipalité, des motifs spécieux. Elles se sont dites