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Le mot mutualité, d’ailleurs, est encore un terme vague pour beaucoup. Dans les harangues officielles et dans la presse on en célèbre les bienfaits sans préciser souvent sous quelle forme il est loisible aux institutions mutualistes de s’exercer. Ce qui n’empêche que l’on voit aujourd’hui se créer le plus fréquemment des sociétés de secours mutuels dont les membres pensent de même sur les questions politiques ou religieuses qui nous divisent : travail de classement tellement naturel et conforme aux tendances de l’esprit public dans notre pays qu’il est accompli presque inconsciemment par les divers partis ; mais chacun se garderait bien d’en convenir, puisque dans les statuts-modèles donnés par le ministère de l’Intérieur est écrite la phrase sacramentelle : « Toute discussion politique ou religieuse, ou étrangère au but de la société, est interdite dans les réunions du Conseil et de l’Assemblée générale, » formule vaine et quelque peu hypocrite, mais qu’il serait cependant dangereux de supprimer.

Une loi et des décrets de date récente ont donné un nouvel essor aux sociétés de secours mutuels, essor quelque peu désordonné pour des causes que nous nous réservons d’étudier, mais d’ailleurs si réel qu’il a eu pour premier effet de n’amener dans cette question que chaos et confusion. Combien de candidats aux dernières élections législatives ont inscrit en tête de leur boniment électoral la mutualité comme le grand remède à toutes les misères sociales ! C’est la mutualité qui doit protéger le travailleur contre la maladie, l’invalidité et même le chômage ! Elle assurera l’existence de sa veuve et de ses orphelins ! Elle résoudra, affirme-t-on un peu fort, le problème des retraites ouvrières, ce qui est bientôt dit, mais demeure un moyen commode de ne pas serrer de près la question, et pour cause. La mutualité répond à toutes les demandes indiscrètes : c’est la panacée universelle. Dans une de ces agapes dont sont coutumiers les mutualistes, M. Léon Bourgeois s’écriait dernièrement : « Qu’elles (les sociétés de secours mutuels) se multiplient, s’unissent et se soudent étroitement, qu’elles soient ainsi l’assise de la société nouvelle, comme elles sont dès maintenant le symbole de l’union qui doit y régner. C’est à vous, mutualistes, qu’appartient le lendemain, etc. »

De son côté, dans une fête de société de secours mutuels, parlant des progrès accomplis dans ces derniers temps, M.