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le peuple, estimant que le clergé ne remplissait pas tout son devoir envers lui, il devint, sous l’empire des événemens de 1848, une sorte de socialiste chrétien ; il était suivi et même dépassé, dans cette voie, par un de ses amis et disciples, ce Kingsley qui devait, plusieurs années après, provoquer, par ses attaques, Newman à écrire l’Apologia.

Maurice était très opposé au High church, aux tractariens, aux anglo-catholiques. Il déclarait vouloir « combattre contre Pusey le combat protestant. » Catholic church, soit, il l’admettait, mais il repoussait le Catholic System. La tendance des Puseyites et de tous les prétendus orthodoxes lui paraissait être de « substituer le dogme à Dieu, » si bien que cette orthodoxie aboutissait, selon lui, à « un véritable athéisme pratique[1]. » Il avait moins de goût encore pour les evangelicals du Low church, pour leur théologie étroite et leur passion sectaire. On était ainsi conduit à le rapprocher des broad churchmen. Ne le voyait-on pas faire souvent campagne avec eux, surtout quand il s’agissait de défendre ceux qui étaient persécutés par les orthodoxes pour cause de doctrine ? Un incident parut même le classer définitivement dans ce parti, en faisant de lui l’un de ces persécutés. Professeur de théologie au King’s college de Londres, depuis 1846, il publia, en 1853, un livre où il contestait la doctrine du Jugement dernier et de l’éternité des peines ; le conseil du collège s’en émut et le destitua. La vénération dont il était entouré accrut le retentissement de cette mesure contre laquelle s’élevèrent tous les tenans du Broad church.

Et cependant, même après cette disgrâce, quand Maurice s’entendait ranger dans le Broad church, il réclamait : « Broad church, s’écriait-il avec quelque impatience, je ne sais ce que vous entendez par-là. Si vous parlez des théologiens libéraux, ils me semblent extrêmement étroits. » Il disait souvent : « Je n’ai jamais eu et n’aurai jamais rien de commun avec cela[2]. » Sur plusieurs points, notamment sur la critique biblique et sur la suprématie de l’État dans les choses religieuses, il n’admettait pas les idées régnantes chez les broad churchmen. Il trouvait ceux-ci trop indifférens aux doctrines théologiques, ou, comme il disait, trop emphatically antitheological. Quelle que fût sa sympathie pour Stanley, il se plaignait qu’il fût trop historien,

  1. Passim dans Life of Maurice, notamment t. I, p. 187, 321, t. II, p. 553, 572.
  2. Article de H. R, Haweis sur Maurice, Contemporary de juin 1894.