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vénérer l’empreinte sacrée. Ils y trouvent, par un heureux système de compensations, avec le souvenir de la faute originelle, la rémission de leurs fautes passées. Je ne sais si cette grâce s’étend aux chrétiens et si nos péchés nous ont été pardonnes, mais nous l’avons bien mérité.

Après avoir passé tout l’après-midi à réunir des coolies, nous nous mettons en route à deux heures du matin. La première partie de la montée se fait par un excellent sentier au milieu des plantations de thé.

Nous avons un clair de lune superbe. Sur les flancs où notre chemin serpente, on voit de-ci de-là les restes énormes de troncs qu’on n’a pu arracher. On les a coupés à quelques mètres du sol. Et ces souvenirs sont lamentables d’un temps où les pentes du pic sacré étaient couvertes d’arbres vénérables presque aussi antiques que lui. Cependant, deux heures avant d’arriver à la cime, les plantations cessent. Le désordre des grandes forêts reparaît et le sentier rétréci n’est plus qu’un chemin de chèvres parmi les rocs entassés. L’ascension alors devient pénible. Mais aussi quelle récompense ! Il est six heures moins un quart quand nous arrivons au sommet. Au-dessous du roc suprême qui porte l’empreinte, se trouve une sorte de plate-forme circulaire de dix mètres carrés environ et une pagode microscopique et pauvre où vit un bonze. Derrière les hautes chaînes de l’intérieur de l’île, le ciel s’éclaire de reflets jaunes et rouges. Bientôt un premier rayon paraît barrant seul l’espace d’un sillon de feu. Un paysage immense surgit peu à peu de la nuit, dédale compliqué de montagnes et de plaines, de gorges et de vallées. Quelques nuages restés au flanc des monts simulent des rivières qui coulent ou des lacs. Et, de cette hauteur, l’île semble entièrement boisée, couverte uniformément d’une immense forêt qui tapisse les pentes, les vallons et les cimes.

Le soleil est déjà tout à fait levé quand, faisant le tour de la plate-forme, nous allons regarder de l’autre côté. Ici, par-dessus quelques contreforts moins hauts qui s’échelonnent à nos pieds, la riche plaine du rivage apparaît avec sa verdure, ses palmiers et ses rizières, et plus loin encore, dans une demi-teinte sombre d’eau et de brume, c’est l’Océan immense qu’on devine plus qu’on ne le voit et dont les limites imprécises se confondent avec le ciel. Je ne crois pas qu’il m’ait été donné de voir un panorama plus splendide. Longtemps, malgré le froid très vif qui