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les rives, aucune affinité de langue ou de race : elle ne les comprend pas plus qu’elle n’est comprise d’eux ; elle y est puissante par le nombre de ses cuirassés et la solidité de ses forteresses, mais elle n’y a, nulle part, de racines. C’est pourquoi l’expérience d’ « anglicisation » tentée à Malte, sous les yeux et à quelques heures de navigation de la Sicile, de l’Italie et de la Tunisie, présentait, pour la politique anglaise, de sérieux inconvéniens ; elle a montré un désaccord radical entre ces deux forces obligées de vivre ensemble et de s’accommoder l’une de l’autre : Malte citadelle anglaise et Malte maltaise.

Si faible que soit le nombre des habitans de l’archipel, la résistance d’une race énergique et décidée à garder sa personnalité est toujours un facteur dont il est imprudent de ne pas tenir compte, et il eût été sans doute plus facile et plus sûr de gagner les Maltais que de les contraindre. S’il est naturel que l’Angleterre cherche à implanter sa langue et ses lois dans ses colonies, il est plus légitime encore que les Maltais tiennent à garder leurs coutumes et leur indépendance relative ; car non seulement l’île est leur patrie, mais elle est leur création. Malte n’était autrefois que stérilité et sécheresse ; c’est à force de labeur et de patience que les habitans ont transformé son sol rocailleux en une terre féconde ; les pierres, enlevées une à une, entassées en murs épais, ont fait place à des champs, et, là où l’humus manquait, les Maltais l’ont fait venir des régions fertiles de l’Etna et importé sac par sac[1]. Aujourd’hui Malte est il fiore del mundo ; le voyageur qui passe n’aperçoit que le gris monotone des murailles qui enclosent les cultures et parfois le feuillage sombre d’un figuier, tordu et couché par le vent ; mais, à l’abri des murs, verdoient, au printemps, des champs de céréales et de sulla[2], qui se transforment, l’été, en plantations de cotonniers. Dans les coins les mieux arrosés et les moins exposés aux souffles du large, se cachent d’admirables jardins, comme celui de San-Antonio, où s’élève, parmi les fleurs et les arbres verts, la villa du gouverneur ; dans ces fraîches oasis, mûrissent des oranges, et surtout ces délicieuses mandarines qui sont la gloire de l’île.

Agriculteurs tenaces, les Maltais ont toujours eu aussi la réputation de hardis matelots ; il faut les voir, dans leur port, sur

  1. A une certaine époque, les bâtimens qui désiraient trafiquer dans le port de Malte devaient apporter, en guise de lest, une certaine quantité de sacs de terre.
  2. Sorte de trèfle, qui atteint plus de un mètre de haut.