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les clés du détroit ; les feux croisés des canons des deux rives en fermeraient efficacement l’issue. Nous avons vu d’autre part que c’est Tanger qui nourrit la garnison anglaise et la population de la ville. Que la côte marocaine da détroit vienne à tomber entre les mains d’une grande puissance militaire, et voilà Gibraltar menacé de famine ! On comprend maintenant pourquoi le seul fait d’occuper depuis deux siècles un rocher sur l’une des rives du détroit oblige les Anglais à ne pas se désintéresser des affaires marocaines. A maintes reprises, ils sont intervenus, soit pour tenter de s’établir eux-mêmes sur la rive sud du détroit, soit pour en éloigner une autre puissance : ce sont eux qui, en 1860, ont arrêté net la marche victorieuse de Prim et d’O’Donnell sur Tanger. Mais, en revanche, ni l’Espagne, ni la France, ni aucune autre grande puissance ne pourrait admettre « un changement qui fût de nature à affecter, d’une façon quelconque, la liberté nécessaire du détroit de Gibraltar[1]. » Lorsque la Grande-Bretagne, en 1808 et à plusieurs reprises en ces dernières années, l’Espagne en 1887, firent des tentatives plus ou moins déguisées pour planter leur drapeau sur l’îlot de Peregil, les diplomaties étrangères intervinrent pour les obliger à y renoncer.

La stricte justice internationale exigerait sans doute que l’Espagne rentrât en possession de ce roc de Gibraltar, qui fait partie de son sol et où elle a, au cours des siècles, fortement marqué son empreinte ; mais, si un jour doit venir où l’Angleterre perdra tout ensemble la royauté des mers et la possession de Gibraltar, ce temps ne semble pas encore proche. C’est, pour le moment, un fait, que la Grande-Bretagne, maîtresse de Gibraltar, malgré l’amoindrissement de la valeur militaire de la forteresse, la France, grande puissance méditerranéenne et africaine, l’Espagne, riveraine du détroit, ont, autour de Gibraltar, des intérêts opposés, mais non pas inconciliables. En un curieux article, le Spectator, reprenant un thème qu’il avait déjà développé, cherchait, l’année dernière, les moyens les plus propres à rassurer les intérêts anglais et à donner satisfaction, au Maroc, aux exigences de la politique française, et il suggérait de constituer l’Espagne gardienne de la neutralité du détroit. Gibraltar

  1. Discours de M. Delcassé, à la Chambre des députés, le 11 mars 1903. — Voyez, sur la question de Peregil, la toute récente brochure de M. Houard de Gard : l’Ile de Peregil, son importance stratégique, sa neutralisation (Pedone).