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jours, un formidable camp retranché, « des lignes de Torres-Vedras restreintes, mais inébranlables[1], » contre lesquelles l’armée espagnole, une fois prête à entrer en campagne, même secourue par des alliés européens, viendrait se briser ou tout au moins s’immobiliser longtemps. Les Anglais ont à Gibraltar des pièces de montagne, des mulets, tout un matériel inutile à la défense du rocher ; outre la garnison, ils peuvent aisément, en trois ou quatre jours, faire venir des renforts de Malte ou d’Angleterre, empruntera la flotte des compagnies de débarquement ; ils ne trouveraient, pour s’opposer à leur tentative que deux bataillons à effectifs réduits, quelques centaines d’hommes ! Les plans de l’opération sont depuis longtemps étudiés. Les officiers de la garnison de Gibraltar dirigent volontiers leurs excursions ou leurs promenades sur les hauteurs qui dominent la route de Tarifa ou vers la Sierra Carbonera ; dans les joyeux pique-niques qu’ils organisent, les appareils photographiques, les instrumens d’optique et les cartes ne sont jamais oubliés. On vient d’achever, à Algésiras, un immense et luxueux hôtel, dont les dimensions, hors de proportion avec le nombre des voyageurs, ont provoqué bien des commentaires.

Que ferait l’Espagne, si son territoire n’était pas respecté ? Son honneur ne lui permettrait pas de consentir à la complaisance que la diplomatie anglaise lui demanderait peut-être. A tous les points de vue, le gouvernement de Madrid serait bien inspiré en augmentant la garnison d’Algésiras et en plaçant, sur les hauteurs qui bordent la baie, assez de canons pour empêcher une surprise, repousser un débarquement et résister jusqu’à la mobilisation de l’armée nationale. Faute de ces précautions, l’Espagne peut se trouver entraînée, soit à une guerre, soit à une abdication cruelle ; elle choisirait la première, mais elle y perdrait ce qui lui reste de ses colonies et, tout d’abord, Ceuta, dont les quelques canons modernes ne résisteraient pas longtemps au bombardement d’une escadre.

Occuper Ceuta, tenir en face de Gibraltar, soit au Monte-Acho, soit au Djebel-Mousa, l’autre pilier de la gigantesque porte, serait, pour la puissance anglaise dans la Méditerranée, un merveilleux complément ; elle aurait vraiment en mains, cette fois,

  1. Cette expression très juste est de M. Robert de Caix, dans son article des Questions diplomatiques et coloniales : l’Angleterre et la question du Maroc, 1er juillet 1901.