Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/830

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et gérant de l’Hôtel de l’Ours, jusqu’aux couvertures qu’emportent, afin de se garantir du froid matinal, les voyageurs s’arrachant à leur lit pour voir, au Righi, le lever du soleil. Joanne, qui avait fait ses premiers voyages en Suisse avant la construction des nouveaux hôtels, quand, à Zermatt, on logeait chez le curé, a signalé, dans sa première édition (1841), la transformation qui commençait à s’opérer et qui ne lui plaisait guère. « Depuis quelques années, dit-il, de riches capitalistes ont fait construire, dans les principales villes de la Suisse, des espèces de palais avec écuries et remises, où un gérant responsable exploite les voyageurs au profit d’une société d’actionnaires. Ces palais sont élégamment et richement meublés ; ils renferment des cuisines aussi curieuses à voir que celle des Invalides à Paris ; des salles à manger spacieuses et décorées avec luxe, une garnison imposante de domestiques parlant toutes les langues connues, en cravate blanche, et habillés de noir de la tête aux pieds, des belvédères au-dessus du toit et une foule d’autres agrémens de cette espèce. La populace et les badauds de la ville s’assemblent le soir devant les fenêtres pour contempler l’illumination de la table d’hôte. Mais… les voyageurs, simples et modestes, auxquels le gérant responsable de ces entreprises en commandite daignera accorder l’hospitalité, ne tarderont pas à se convaincre, une fois leur curiosité satisfaite, que les palais ne doivent être habités que par des souverains et par de grands seigneurs. » Et il établissait que les prix variaient de 14 à 16 francs par jour pour les hôtels de premier ordre ; de 8 à 11 francs pour les autres, ce qui était élevé pour l’époque.

Dans sa deuxième édition, parue en 1853, on trouve des remarques identiques. « Les hôtels de seconde classe, entraînés par le mauvais exemple de la cupidité, commencent à se donner des airs de première classe. La bougie ne leur suffit plus ; eux aussi, ils tarifent le service à leur profit, élèvent de 50 centimes ou de un franc le prix de la table d’hôte, et ne font boire à leurs hôtes que des vins de la plus mauvaise qualité, afin de les contraindre à prendre des vins extra, dont le moins cher, fort ordinaire d’ailleurs, se vend trois francs la bouteille. Cette innovation ne date que de quelques années. Que nous présage l’avenir ? Certes on est mieux logé, mieux nourri, et en revanche plus mal soigné, dans les hôtels suisses, aujourd’hui qu’il y a vingt ans, mais on y paie tout le double. Il est grand temps vraiment que l’avidité