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c’est la santé de l’âme que l’on demande à ces lieux de rêve. Ainsi donc des missionnaires, des marchands, des soldats découvrent un pays ; des curieux le font connaître ; la nature ou l’art y retient des visiteurs. Devant les premiers, la contrée parcourue était restée indifférente, sinon hostile ; pour les derniers, elle se met en frais. Le sentiment de l’hospitalité envers l’étranger lui en fait un devoir, l’orgueil d’attraits qu’elle méconnaissait l’y encourage ; son intérêt l’y pousse. L’afflux des voyageurs avait exigé un effort ; cet effort, en se précisant et se continuant, les attire à son tour. Bientôt des habitudes s’établissent de part et d’autre, ce qui était occasionnel devient normal, la règle a succédé à l’accident et une industrie nouvelle est créée.

C’est exactement ce qui s’est passé en Suisse.

Les Romains, là comme partout, avaient élevé des autels aux divinités bienfaisantes des sources, dont beaucoup furent par eux reconnues et captées. Ils tracèrent une route de Milan à Bâle par le Grand Saint-Bernard, Vevey et Avenches, qui figure à l’Itinerarium Antonini et à la Table de Peutinger. Mais il ne semble pas qu’ils aient goûté la beauté de la montagne. Leurs villas se mirèrent aux eaux des lacs, s’assirent sur les collines riantes, s’abritèrent à l’ombre des vergers de la plaine. C’est à Nyon, au bord du Léman, qu’en 56 avant J. –C. César établit leur première colonie.

Après eux, pendant tout le moyen âge et jusque vers le XVIIe siècle, la Suisse ne’ fut visitée que par des missionnaires, des soldats ou des marchands. Les premiers évangélisent l’Helvétie, y fondent des monastères, comme à Saint-Maurice (302) ou à Saint-Gall (vers 700) ; les lieux où ils ont vécu deviennent l’objet de pèlerinages, tels que Beatenberg ou Einsiedeln. Les seconds la ravagent ; Frédéric Barberousse traverse le pays à deux reprises, en 1166 et 1174, et les invasions de Léopold d’Autriche et de Charles le Téméraire viennent se briser contre la volonté héroïque des premiers Suisses. A la suite des moines et des soldats, les marchands vont partout.

Pour eux, pour les pèlerins qui, de France, des Flandres ou de l’Allemagne, s’en allaient vers Rome se fondaient les hospices du Grand Saint-Bernard (vers 859), du Petit Saint-Bernard (XIe siècle), du Simplon (avant 1235), du Saint-Gothard (1331), du Grimsel (1479). C’était le charitable et très modeste début de la florissante industrie hôtelière qui enrichit actuellement la