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des mois, se seraient transformées, modifiées profondément de jour en jour, d’heure en heure, par l’initiative de l’ennemi, quel résultat auraient pu donner l’intervention à distance du Comité de salut public et ses ordres datant de plusieurs journées ? Dans de pareilles conditions, tendues à l’excès, où les événemens se seraient précipités, où toute hésitation, toute fausse indication aurait pu amener un désastre, les représentans du peuple auraient-ils osé prendre la responsabilité des ordres ; substituer leur volonté à celle des chefs de l’armée ; ou les troubler, les contrecarrer au moment où ils auraient eu besoin de leur sang-froid, de leur intelligence, de leur expérience, de toute leur force de caractère, pour peser les derniers renseignemens et prendre définitivement les résolutions décidant du sort de leurs troupes et de la Patrie ?

Avec le système de guerre actuel, de pareilles interventions amèneraient fatalement la défaite. Et du reste, dans les glorieuses années qui suivent la Terreur, Carnot renonce à avoir des représentans auprès des commandans en chef. Il reconnaît combien il est indispensable de laisser à ceux-ci la pleine initiative pour les moyens d’exécution, et se contente de leur indiquer, parfois avec trop de détails, le but général.

D’un autre côté, qu’a pu être la discipline des troupes au milieu des encouragemens à la délation, dont nous avons donné quelques exemples ; au milieu des arrestations incessantes de généraux distingués comme Montes qui ou, Anselme, Brunet, Kellermann, Hoche, Bonaparte lui-même ? Si le pays a été sauve, c’est parce que le dévouement ardent des troupes et des populations s’est substitué à la discipline ; parce que nous avons été, à ce moment-là, la nation armée, enthousiaste de patriotisme et de liberté, en face des armées lentes, routinières, de la vieille Europe. Mais, n’oublions pas que dorénavant nous aurons à lutter contre des nations armées comme nous, ne négligeant rien de leurs forces vives ; et que tout relâchement dans la discipline, toute défaillance au point de vue de la cohésion, de la solidarité, de l’esprit de camaraderie entre les officiers, de la confiance réciproque qui doit exister entre les chefs et les soldats, nous conduirait fatalement aux plus grands désastres.

Est-ce à dire qu’il n’y a rien à retenir de l’action du Comité de salut public, même pendant l’année de la Terreur ? Si : il faut y voir une nouvelle preuve de l’influence de l’énergie du