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cette habitude nouvelle des apéritifs, la clientèle qui lui est plus ou moins spéciale, les caractères de l’intoxication qui lui sont propres et qui la distinguent plus ou moins de l’intoxication alcoolique, les moyens, enfin, si l’on n’en peut supprimer l’abus, d’en atténuer les effets.


II

L’usage des boissons à essences, des alcools aromatisés, des apéritifs pris avant le repas, des absinthes en particulier, est une habitude relativement nouvelle. On sait que les anciens ne connaissaient guère, en fait de boissons fermentées, que les liqueurs naturelles, — le vin, la bière, le jus des fruits, — et que lorsqu’ils en abusaient, c’était surtout dans l’entraînement des repas. L’alcool, les eaux-de-vie n’ont été connus qu’assez tard, à une époque mal précisée. M. Berthelot a donné un savant historique de la découverte de ce liquide subtil, volatil, inflammable, que l’on peut extraire du vin au moyen de l’alambic, et qui a reçu au cours des temps les noms d’eau ardente, d’eau-de-vie, et enfin d’esprit-de-vin et d’alcool. Cette liqueur est véritablement une essence, l’essence du vin ou de la vigne, la première boisson à essence.

Jusqu’au XIVe siècle, cet alcool resta une sorte de médicament, de potion pharmaceutique. Il commença alors seulement à se répandre dans les armées. Les officiers anglais avaient pris, dit-on, pendant leurs campagnes dans les Pays-Bas, le goût du « vin brûlé, » du brandwine, et de retour dans leurs foyers ils propagèrent l’usage de ce cordial, de ce brandy qui les avait aidés à supporter les fatigues de la guerre. C’est en Angleterre que les premières distilleries françaises, celle de Nantes et de Strasbourg, exportèrent leurs produits.

Au XVIIIe siècle, l’eau-de-vie s’introduisit plus profondément dans les habitudes. Toutefois l’usage n’en devint tout à fait général qu’à la suite de la découverte et de la diffusion des eaux-de-vie de grains. C’est vraiment de l’établissement des distilleries de grains, vers 1780, que datent les débuts de l’alcoolisme dans les pays du Nord. En France, l’invasion du mal a été plus tardive. Les eaux-de-vie de grains, les alcools de betteraves et de mélasses n’entrèrent dans la consommation qu’en 1834. On les voit commencer à peser sur le marché en 1853 lorsque les ravages de