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émit la prétention d’imposer aux industriels un « degré marchand » et les empêcher de vendre des eaux-de-vie titrant moins de 45° d’alcool ! Il ne fallait pas que le petit verre fût moins toxique, et le buveur moins empoisonné, si le fisc devait y perdre.

C’est que les médecins et les moralistes sont seuls à penser que l’alcool et les essences soient des poisons. Le public ne le croit pas. Les gens raisonnables ne contestent pas que l’ivrognerie ne soit un fâcheux défaut, et que l’abus des boissons alcooliques n’entraîne beaucoup d’inconvéniens ; mais ils ne comprennent pas ce que les médecins veulent dire en assimilant l’alcool à un toxique. Pour eux, une substance toxique est une substance nuisible à toute dose et qui ne saurait être absorbée impunément : il ne tiennent compte ni de l’effet à longue échéance, ni de l’accumulation des altérations minimes. — Même malentendu lorsque le médecin prétend démontrer la nocivité des alcools et des essences par des expériences exécutées sur les animaux, et conclure d’injections opérées sous la peau ou dans les veines d’un lapin à l’action de la substance introduite dans l’estomac de l’homme. « Vraiment, disait M. E. Combes devant le Sénat, c’est raisonner contre les règles de la logique que de vouloir transporter à l’homme, par analogie, les symptômes constatés sur l’animal, quand le mode d’opérer est si différent, et qu’il suffit, à lui seul, à changer les résultats de l’opération ! »

D’autre part, les médecins et les hygiénistes, à leur tour, ne veulent pas apercevoir l’infinie complexité du problème de l’alcoolisme. Ils ne se demandent pas pourquoi l’homme boit des spiritueux, pourquoi il fréquente les cafés, les débits et les bars. Ils ne cherchent point par quels autres moyens on pourrait satisfaire ce qu’il y a de légitime dans les aspirations ou les instincts qui poussent le buveur au cabaret et à la consommation des spiritueux. Ils ne se disent pas que dans l’organisation actuelle de notre société les solutions radicales, telles que la suppression des débits ou seulement la limitation prohibitive de leur nombre, semblent impossibles à appliquer. On ne supprime une habitude qu’en en créant une autre qui réponde aux mêmes besoins.

Mais, s’il est très difficile d’opposer une digue efficace aux ravages de l’alcool, en général, il a paru plus facile de s’attaquer à cette forme particulière de l’alcoolisme que l’on a nommée l’absinthisme et qui est l’abus des absinthes ou, en général des liqueurs à essences. Il importe de rappeler l’extension qu’a prise