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cascade tombant du haut d’un rocher est figurée par une série de traits verticaux ou obliques, comme si l’on voulait représenter les fils d’un métier de haute lisse, ce qui est tout à fait contraire à la nature. En réalité, l’eau tombe par nappes, par paquets, qui se tiennent cohérens dans le sens horizontal, mais non pas dans le sens vertical et, si rapide que soit leur succession, elle ne l’est pas assez pour que l’œil ne perçoive, à tout instant, des solutions de continuité qui donnent à la cascade cet aspect saccadé, vibratoire, et, pour tout dire, vivant, qui fait son charme. Le même phénomène est visible dans les jets d’eau qui s’élèvent non point par lignes ininterrompues comme des tiges de lys, mais par paquets liquides, successifs, comme une série de bouquets blancs lancés dans une bataille de fleurs. Le peintre, en figurant l’eau non telle que l’éducation le lui apprit, mais telle que son œil la voit, lui restitue la vie que la formule des lignes verticales avait arrêtée.

Une difficulté de plus apparaît lorsque le mouvement de l’eau se combine avec les reflets, et que dans l’intervalle des rides régulières ou des moirures, il se produit une succession d’images interrompues, qui donnent au paysage renversé dans l’eau une apparence prismatique et fantastique. Supposons un arbre reflété dans une eau çà et là plissée par le vent. Là où le reflet vertical atteint la strie lumineuse horizontale, il s’arrête. Immédiatement au-dessous de la strie lumineuse, le reflet de l’arbre recommence à plonger dans l’eau et il recommence au point précis où la ride l’a interrompu, ce qui fait qu’il s’allonge de toute l’épaisseur de la ride. Si beaucoup de rides sur l’eau viennent ainsi interrompre le reflet d’un objet, ce reflet, s’allongeant de toutes les rides additionnées, pourra être infiniment plus long que l’objet lui-même. C’est ce qu’on voit parfaitement observé dans les reflets des arbres du tableau intitulé la Péniche, de M. Thaulow. C’est d’ailleurs, ce qui est évident, quand un objet rond — le soleil, la lune, une lampe — se trouve reflété par une eau striée de plis nombreux : il paraît ovale et parfois même ressemble à une colonne de feu s’effondrant, de flot en flot, jusque sur le rivage. Moins observé pour les autres objets naturels, arbres, maisons, figure humaine, le phénomène cependant est tout aussi accentué.

Après les reflets, les ombres. Une opinion assez accréditée est qu’il ne peut y avoir d’ombres sur l’eau. C’est tout à fait faux. Si