n’est pas tout compter : qu’est-ce qu’ils dépensent ? qu’est-ce qu’ils usent ? A chaque va-et-vient de la plaque embrasée, à chaque poignée de brindilles qu’ils lancent, à chaque coup de feu qu’ils essuient, ils dépensent tant de leurs forces, ils usent tant de leur vie, et cette quantité de forces dépensées, cette quantité de vie usée, on la leur doit aussi justement, de toute justice, qu’on leur doit, en toute justesse, leur quantité de production.
J’entends les objections : — Oui, sans doute, mais la concurrence ? Oui, mais les nécessités de l’industrie ? — Eh bien ! la concurrence s’y plierait, l’industrie y plierait ses nécessités ; et après tout, et avant tout, la force humaine, la vie humaine, ne sont-elles pas, elles aussi, des nécessités de l’industrie ? Le produit du travail est une marchandise qu’on vend, le travail lui-même est une marchandise qu’on achète : pourquoi la dépense de force, la consommation de vie ouvrière, l’apport et l’incorporation de matière humaine à la matière marchande, ne seraient-ils pas un élément, un facteur du prix d’achat et du prix de vente ? Ainsi qu’on fait entrer « l’usure » de l’outillage dans l’évaluation du prix de revient, pourquoi n’y ferait-on pas entrer « l’usure » de la main-d’œuvre ? Pourquoi ne le ferait-on pas ? Et si l’on le faisait, la formule, pour être un peu moins mécanique, un peu moins économique, un peu plus physiologique, un peu plus sociologique, en serait-elle cependant faussée ? Le barème des salaires n’en serait-il pas plutôt corrigé et redressé ? Car, alors, il n’est pas sûr qu’il y aurait, dans ses chiffres, moins de justesse, mais il est sûr, en revanche, qu’il y aurait plus de justice. — Là-dessus, et tout de suite, je m’arrête. J’allais oublier que ce n’est ici qu’une enquête où je me suis promis de demeurer impassible et indifférent, et de constater sans conclure. J’ai simplement à rapporter les faits ; non à construire une théorie. Si j’ai été ému, si j’ai failli crier, c’est qu’il m’a semblé que les faits parlaient vraiment et criaient eux-mêmes cette conclusion.
CHARLES BENOIST