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bien, écrit Luxembourg, que cet aveu sincère ne plaisait pas à M. De Bezons, à en juger par la mine qu’il fit. Pour M. De La Reynie, il n’en fit aucune. »

Les confrontations commencées se poursuivirent le surlendemain. Dès le matin, les commissaires se présentaient à la Bastille. Le maréchal, encore au lit, s’habilla pour les recevoir. Ils entrèrent dans la chambre ; on introduisit sur leurs pas un homme vêtu d’habits de prêtre, auquel fut demandé s’il connaissait le prisonnier. L’inconnu regarda longuement : « Non, répondit-il à la fin. — Prenez garde, insista Bezons, vous connaissez pourtant Monsieur. » Sur une dénégation nouvelle : « Comment, reprit le magistrat, ne connaissez-vous pas bien M. le duc de Luxembourg ? » Et il tenta de soutenir au témoin qu’il avait bien des fois rencontré, entretenu le duc à l’Hôtel de Toulouse. « Le prêtre répliqua qu’il n’y avait jamais été qu’une fois, nomma l’homme qu’il y avait vu[1], assura que je n’y étais point, et que, là ni ailleurs, il ne m’avait vu ni rencontré de sa vie. » On eut beau le pousser, le « tourner de toutes les manières, » on n’en put tirer autre chose. Le prêtre fut emmené, sans qu’on eût dit son nom. Ce fut alors le tour d’un homme d’une cinquantaine d’années, de mine basse et d’allures vulgaires, auquel les enquêteurs posèrent les mêmes questions. Celui-ci-répondit d’abord qu’il reconnaissait l’accusé ; mais, l’ayant mieux considéré, il se rétracta sur-le-champ, disant qu’il l’avait pris pour M. le comte de Gassilly[2]. Malgré des efforts laborieux, rien ne l’en fit démordre. « Le reste de cette confrontation ne fut que bagatelles. » Après qu’il fut sorti, le maréchal fut informé que ce second témoin était Mathurin Vigoureux, mari de l’empoisonneuse et complice de ses crimes[3]. Comme on approchait de midi, les commissaires s’en furent dîner ; deux heures sonnaient quand ils se remirent en besogne.

Les gens jusqu’alors entendus n’étaient que de simples comparses ; il fallait à présent confronter Luxembourg avec son seul

  1. C’était le marquis de Feuquières, comme il résulte de la déposition antérieure des femmes Bosse et Vigoureux.
  2. Le comte de Gassilly est en effet dénoncé par plusieurs détenus de Vincennes comme l’un des habitués du logis de la Voisin, qui lui procurait des filles, et à laquelle il faisait faire toutes sortes de conjurations (Interrogatoire de Le sage, de la Vigoureux, etc. Archives de la Bastille).
  3. Mathurin Vigoureux, après deux années de réclusion, fut relâché, le 18 août 1682, avec ordre de se retirer & Nogent-le-Rotrou. -- Archives de la Préfec. de Police.